Les grandes espérances - Charles Dickens
Il y avait bien longtemps que j'avais renoncé à lire Charles Dickens, après avoir été traumatisée dans ma jeunesse par la lecture concomitante de David Copperfield et d'Oliver Twist. Ni les cris d'amour de Karine, ni la dickensmania de Cuné n'avaient réussi à me faire changer d'avis. Et puis j'ai lu Le Chardonneret de Donna Tartt, que j'ai adoré, et dont j'ai lu partout qu'il avait une atmosphère "dickensienne". Il a fallu que je juge par moi-même et je me suis lancée dans la lecture du classique des classiques : Les Grandes espérances.
Ces "espérances" sont celles du jeune Philip Pirrip, surnommé Pip. Pip est un petit orphelin qui n'a jamais connu ses parents. Il est elevé par une soeur plus âgée, qui ne lui témoigne aucune tendresse et le considère comme un fardeau. Heureusement, cette mégère est mariée à un brave homme, Joe, le forgeron du village, seul adulte à témoigner un peu d'affection à ce pauvre gamin. Un soir qu'il traîne dans le cimetière, Pip rencontre un forçat évadé qui le force à lui trouver un peu de nourriture. Malgré la peur que lui inspire sa soeur, Pip dévalise le garde-manger. Mais le lendemain, il assiste à la capture du forçat par les soldats. Peu de temps après il est sollicité pour aller tenir compagnie à une vieille femme riche. Miss Havisham vit enfermée depuis des années dans une maison obscure et poussiéreuse, en compagnie de souvenirs et de souris. Elle a une filleule aussi jolie qu'arrogante, dont Pip tombe amoureux au premier coup d'oeil. De ce jour-là, tout change pour le jeune Pip qui se met à rêver de devenir un "monsieur" pour séduire Estelle. Il est exaucé quelques années plus tard, quand un généreux bienfaiteur, qui souhaite rester anonyme, décide de faire de lui un gentleman et l'envoie à Londres pour faire son éducation.
Je ne suis pas sûre d'avoir assez de mots pour rendre justice à un tel roman, magistral et époustouflant. D'abord, Charles Dickens est un formidable conteur, qui n'ennuie jamais son lecteur : pas de longueurs chez lui. Au contraire, comme le roman a été publié en feuilleton, les chapitres sont denses et l'auteur a un talent inouï pour relancer l'attente du lecteur. Ensuite, ce roman mêle tous les genres : autobiographie (écrit à la première personne, il est inspiré par l'enfance de l'auteur); roman d'apprentissage (puisque nous suivons le jeune Pip pendant près de vingt ans et le voyons beaucoup changer) ; satire sociale (avec le portrait d'un jeune homme simple que l'argent va corrompre et la dénonciation d'un certain snobisme de classe) ; roman gothique (chez Miss Havisham, figure inquiétante figée dans un passé aussi moisi que son gâteau de mariage) ; histoire policière (avec la figure récurrente des forçats évadés) ; histoire d'amour, enfin, aussi émouvante que désespérée.
Dickens a un merveilleux don pour créer des décors, des personnages et des atmosphères. Il nous balade d'un village de campagne, avec sa rue commerçante et son auberge, à la prison de Newgate, et des rues sombres de Londres au cabinet d'un homme de loi énigmatique. Il ne cesse de nous surprendre avec des personnages tragiques ou burlesques, ridicules ou émouvants. Il nous fait rire, il nous émeut, il nous fait peur, il nous fait pleurer. On se prend à aimer tous les protagonistes (même si on a bien souvent envie de flanquer une bonne taloche à cet ingrat de Pip !), car rares sont ceux qui sont irrécupérables. Dickens adore ses personnages, il leur donne à tous une seconde chance, il croit en l'être humain, en sa capacité de rédemption. Et après avoir secoué son lecteur pendant 600 pages avec les émotions les plus variées, il lui donne ce qi'il attend au dernier chapitre et lui permet de refermer son livre avec un grand soupir de bonheur.
J'ai absolument tout aimé dans ce livre et suis tombée totalement en amour pour Charles Dickens...
Lu dans le cadre du Mois anglais
Traduit de l'anglais par Charles-Bernard Derosne.
Numeriklivres, 2013 (1e éd. 1861). - 543 p.