Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides
« Elle attendait d’un livre qu’il l’emmène dans des endroits où elle n’était pas capable d’aller toute seule. Elle considérait qu’un auteur devait se donner plus de mal pour écrire un livre qu’elle-même pour le lire. »
Le propos annoncé de ce livre est de réinventer le roman du mariage qui a fait les beaux jours de la littérature classique anglaise des XVIIIe et XIXe siècles. Pour ce faire, Jeffrey Eugenides utilise un très classique trio d'amoureux, dans le cadre très fermé d'une université américaine.
Mitchell, très sérieux étudiant en théologie originaire du Midwest, tombe amoureux dès la première année de la jolie et très WASP Madeleine, passionnée de littérature victorienne. Mais Madeleine ne trouve aucun charme au terne et timide Mitchell qu'elle n'en finit plus de repousser. Après quelques piteuses tentatives amoureuses, elle tombe en amour pour le brillantissime et très charismatique Leonard qui étudie la biologie.
C'est dans un cours de sémiotique que Madeleine et Leonard se rencontrent, deux innocents dans un débat de spécialistes, qui a pour objet de déconstruire tout ce que le passé a construit, à l'aide de vigoureux marteaux nommés Derrida, Deleuze et Baudrillard. Et c'est une Madeleine fascinée par les Fragments d'un discours amoureux de Barthes, qui se prend de passion pour Leonard, avant de découvrir que le jeune homme doit affronter une autre sorte de déconstruction, bien plus tragique. Et pendant que Madeleine s'applique à reconstruire son couple et son avenir, Mitchell fuit en Inde à la recherche d'une hypothétique illumination spirituelle.
De nos jours, ni les différences sociales ni l'opposition des parents ne sont plus un obstacle au mariage. Le chemin n'en est pas plus facile pour autant : d'autres obstacles surgissent. Perdus dans le labyrinthe des sentiments et du désir, nos trois héros vont découvrir que l'amour n'est pas l'unique sens de la vie, que Dieu est sourd, et que la vraie vie est ailleurs. Jeffrey Eugenides explore l'infinie métamorphose du sentiment amoureux dans une prose spirituelle et limpide, bourrée de références littéraires, et qui dévoile avec la même aisance la recherche sur les levures ou la mystique de Sainte Thérèse d'Avila.
Un roman brillant et magnétique, qui revisite à la fois le roman d'amour et la French Theory, et démontre que l'amour est une soupe amère de fantasmes littéraires, de sciences naturelles et de mysticisme béat.
Traduit de l'américain par Olivier Deparis.
Editions de l'Olivier, 2013. - 552 p.