La foire aux vanités - William Makepeace Thackeray
« Vanité des vanités. Tout est vanité et poursuite du vent. »
Ecclésiaste, I, 2.
Le titre de ce roman ainsi que sa très sinistre couverture pourraient donner à penser qu’il s’agit de quelque gros pensum moraliste et que son auteur est un bien triste sire. Rien ne saurait être plus loin de la vérité ! Avant d’être romancier, William Makepeace Thackeray fut longtemps chroniqueur au Punch, journal satirique anglais, et c’est exactement le même ton qu’il a donné à ce roman qui est un vrai chef d’œuvre, d’une infinie drôlerie, et une critique affutée d’une certaine société.
Par une belle matinée de mai 1815, deux jeunes filles sortent de la pension dans laquelle elles viennent de passer plusieurs années. L’une, Amélia Sedley est la fille d’un riche agent de change de la c ity, qui va retrouver sa grande maison de Russell Square, sa vie douillette et confortable et le fiancé qui lui est destiné depuis toujours, Georges Osborne. L’avenir de la seconde est moins rose. Fille d’un peintre et d’une danseuse, Rebecca Sharp est orpheline, sans fortune et sans famille. Son destin est de devenir gouvernante dans une famille de hobereaux de province, les Crawley.
On ne peut imaginer deux jeunes femmes plus différentes qu’Amélia et Rébecca.
Autant l’une est aimable, généreuse et gentille, autant l’autre est égoïste, menteuse, hypocrite et ambitieuse, et prête à tout pour réussir. Ange et démon. Leur seul point commun est qu’elles vont toutes les deux épouser des imbéciles, fats et prétentieux, préoccupés uniquement de cartes et de chevaux. Et pendant que l’une va connaître une ascension fulgurante dans la bonne société, l’autre connaîtra la ruine, le deuil et la misère.
Car Amélia, élevée dans la soie et les dentelles, si elle a toutes les vertus, n’a qu’une arme pour se défendre : ses larmes. Heureusement qu’elle a un ange gardien, en la personne du fidèle et du discret Major Dobbin (dont l’abnégation confine à la bêtise) pour veiller sur elle. Rébecca n’a certes pas besoin d’un tel protecteur, elle qui dispose de tout un arsenal de séduction, de mensonges et d’inventivité pour retourner toutes les situations à son profit.
Certes, Rébecca est très antipathique, mais son désir de réussir par tous les moyens force quand même l’admiration. Car il faut bien reconnaître que cette jeune femme d’origine modeste a tous les talents : elle est belle, cultivée, parle plusieurs langues, joue divinement du piano et chante à ravir. Son potentiel de séduction est illimité. Son seul crime, dans le fond, est de ne pas être née au bon endroit, crime impardonnable aux yeux d’une société pour laquelle ne comptent que la fortune et la naissance, une société dont Thackeray se moque allègrement en en exhibant les préjugés, les futilités et les lâchetés. Finalement, Rebecca ne fait qu’exploiter les faiblesses du monde qu’elle veut conquérir.
Et c’est drôle, drôle, drôle. Ce gros roman fut d’abord publié sous forme de feuilleton et c’est comme un feuilleton qu’il convient de le lire : des épisodes à suspense ou à rebondissement, des dizaines d’anecdotes plus croustillantes les uns que les autres, et une flopée de personnages secondaires. C’est bavard, riche en détails, ironique, caustique, cynique. Mais le meilleur, c’est que l’auteur intervient à tout bout de champs, pour faire des commentaires sur ses personnages, des digressions drolatiques ou morales, et des clins d’œil à son lecteur. Il se crée ainsi, entre le lecteur et l’auteur, une complicité tout à fait réjouissante, qui est pour beaucoup dans le plaisir de lecture, et qui fait que ces mille pages sont aussi légères que brillantes.
Les illustrations sont de William Thackeray himself. On peut les voir sur le Victorian web. (Images scanned by Gerald Ajam and captions by Tiaw Kay Siang and Sabrina Lim.)
Edition de Sylvère Monod, traduction de Georges Guiffrey.
Titre original : Vanity Fair, a novel without a hero.
Folio, 1994 (1e édition 1846). – 1071 p.