Bondrée - Andrée Michaud

Publié le par Papillon

"Le mal ne pouvait venir d'un être isolé. Il venait toujours du nombre et du surnombre, de l'accumulation des haines avec le nombre, de la proximité de trop de destins orchestrant férocement leur accomplissement."
 
Il y avait longtemps que je voulais découvrir les livres de cette autrice de polars que j'ai beaucoup vu passer sur les blogs, et il m'a semblé que le Mois du Québec était le moment idéal.
 
"Tout était là : la solitude, le silence, l'odeur du foin et des pommes, la teinte voilée du jour, se conjuguant au sentiment d'une liberté ne tenant pas à la faculté de mouvement dont il jouissait ni à l'infini s'ouvrant au-delà du champ, mais à cette fusion parfaite avec le temps, à cette apaisante compréhension du lieu, à cette intelligence du moment que rien, aucun malheur ni aucune entrave, ne pourrait lui enlever. Si on lui avait demandé qui il était ou en quoi consistait son idéal, il lui aurait fallu décrire cette scène dont la brièveté exprimait la possible beauté du monde. Il ne s'agissait pas de bonheur, mais de plénitude, c'est le seul mot qui lui venait à l'esprit, et il lui semblait que la définition de son être entier tenait dans ces quelques instants."
 
Bondrée est un lieu apparemment idyllique, qui tire son nom de l'anglais boundary qui signifie frontière, car ce vaste parc de vacances a l'originalité de s'étendre à la fois sur le Québec et le Maine et de rassembler autant de vacanciers américains qui parlent anglais que de québécois qui parlent français. On y trouve une grande forêt propice à la découverte et à l'aventure, et un joli lac pour la baignade et la pêche. C'est dans un chalet de Bondrée que la jeune Andrée Duchamp passe ses vacances depuis plusieurs années avec ses jeunes parents et son frère, et regarde avec acuité le monde des grands et des presque grands, alors qu'elle traverse ce moment où l'enfance s'efface et l'adolescence se profile à l'horizon. Elle observe donc avec autant d'envie que d'admiration ses grandes voisines, qui se maquillent, flirtent et chantent à tue-tête Lucy in the sky des Beatles. On est en 1967. La quiétude de ce petit monde estival se brise quand la jolie Zaza Mulligan disparaît, semant l'inquiétude. Elle sera retrouvée morte deux jours plus tard, la jambe broyée dans un piège à loup. Accident ou crime ? C'est ce que va essayer de démêler Stan Michaud, l'inspecteur américain chargé de l'enquête, un homme hanté par les horreurs que son métier lui a fait côtoyer.
 
"Pourquoi le mal était-il plus fort que la police, plus fort que le bon Dieu, plus fort que la beauté ou la joie pure de l'innocence ?"
 
Plus qu'un polar classique, Bondrée est un roman d'atmosphère qui interroge la fragilité du bonheur. Ce lieu de rêve qu'est Bondrée est en fait habité par des fantômes du passé qui vont resurgir le temps d'un été brûlant et mortel, notamment celui de Pete Landry, le trappeur qui s'est pendu au fond des bois à cause d'un amour malheureux pour une belle femme rousse. Les vacanciers vont découvrir que leur paradis est vénéneux. Quand une deuxième jeune fille disparaît, l'affolement se répand, tout comme la suspicion. On enferme les enfants et on cherche un coupable à tout prix. Et toute la narration est basée sur le ressenti et les émotions des divers protagonistes, même celles des flics. L'autrice nous donne le point de vue de tous les personnages, surtout celui de la petite Andrée de douze ans qui découvre à la fois l'impuissance des adultes face au drame, et la proximité du paradis avec l'enfer.
 
"Il y avait des lieux maudits et celui-là en était un, qui dissimulait ses pièges depuis des décennies."
 
J'ai beaucoup aimé l'atmosphère étouffante de cette histoire, avec cette nature dense qui se fait de plus en plus menaçante. Le mélange de dialogues anglais et québécois crée une ambiance très particulière, une complexité supplémentaire pour la police qui doit sans cesse faire appel à un traducteur. Mais j'ai trouvé le tout un poil trop long, tant l'autrice sème de fausses pistes pour égarer son lecteur, tout en lui distillant quelques indices pour lui donner une longueur d'avance sur les enquêteurs. On finit par se désintéresser de la résolution de l'enquête, puisqu'on a bien compris que le thème du livre est de montrer que le mal peut surgir n'importe où, même dans un lieu de paix et de beauté.
 
Lu dans le cadre de Québec en Novembre

 

 
 
 
 
 
Rivages, 2016. - 330 p.
 
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V
je ne sais pas pour celui-là… j'ai lu Rivière tremblante et j'ai trouvé ça vraiment trop noir, éprouvant. L'écriture m'a plu d'où l'hésitation pour continuer avec cette autrice...
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B
J'aime bien ce genre de polar. Je note, au cas où... Merci !
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D
Bon, pas trop ma came, ce genre de polar. Et vu ce que tu en dis à la fin, je passe mon tour sans regrets...
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P
Il y a indéniablement une atmosphère, mais il m'a manqué un je-ne-sais-quoi pour que j'apprécie totalement....
A
Encore un titre noté il y a longtemps mais que je n'ai pas encore pris le temps de lire !
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P
Québec en novembre est la bonne occasion pour le sortir de la PAL !
I
Je n'avais personnellement pas souffert de ces longueurs que tu évoques, mais c'est vrai que le rythme en est lent. J'attends avec impatience la sortie en poche de Rivière tremblante..
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P
J'essaierai peut-être Rivière tremblante, si je le trouve en biblio, elle a quand même une plume qui m'a plu.
A
Il me semble que j'avais bien accroché au départ, ça partait bien et comme toi, je m'étais lassée au fur et à mesure. Je n'ai pas lu le roman suivant, j'essaierai peut-être quand même à la bibli.
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P
moi aussi, pourquoi pas ?