Les héros de la Frontière - Dave Eggers

Publié le par Papillon

"Être américain c'est être vide, et un vrai Américain est réellement vide. Ainsi, tout compte fait, Josie était une vraie grande Américaine."
 

 

Josie est une femme en fuite. Avec ses deux enfants, le très raisonnable Paul, huit ans, et la très malicieuse Ana, cinq ans, elle a pris un billet sans retour pour l'Alaska et loué un camping-car un peu déglingué baptisé le Château. Josie est originaire de l'Ohio, et a un passé compliqué : des parents impliqués dans un trafic de médicaments, une émancipation précoce, un mari aussi défaillant que ses parents et très lâche, qui vient de la quitter pour une jeunette. Culpabilisée par la mort en Irak d'un jeune patient, et dépossédée de son cabinet dentaire à la suite d'un procès pour diagnostic erroné, elle a décidé de prendre la tangente. La quête du rêve américain, elle l'a poursuivie jusqu'à plus soif, et elle arrive à ce moment de la vie où l'on se demande : à quoi ça sert tout ça ? Elle n'a pas vraiment de plan, mais 3000 dollars en liquide dans un sac, et le vague projet d'aller rendre visite à sa demi-sœur Sam qui vit à Homer. Mais les retrouvailles ne vont pas très bien se passer, et Josie va très vite reprendre se course vers le Grand Nord, poussée toujours plus loin par les incendies qui ravagent l'Alaska.
 
"Vingt-deux ans à lutter pour quoi ? Pour que votre gamin reste assis à une table Ikea, les yeux fixés sur un écran, tandis que dehors le ciel change, le soleil se lève et se couche, les faucons flottent comme des zeppelins ?
 
Avec ce road trip, Dave Eggers se livre à une critique très acide de la vie américaine, de ses travers et de ses excès : les guerres absurdes, les ravages de la drogue, la normalisation à outrance, l'obsession de la réussite, l'hyperjudiciarisation de la société et la course à la consommation. Josie n'en peux plus de subir ça et n'a pas envie d'élever ses enfants dans une banlieue qu'elle ne supporte plus, où les voisins vous observent et vous jugent sans arrêt. Dans ces circonstances, l'Alaska apparaît comme la "dernière Frontière, pure et intacte, irrégulière et sale, infinie", un état encore sauvage et qui fait rêver, où l'on peut, peut-être, s'inventer une autre vie, un état qui réveille le colon qui semble sommeiller en chaque américain. Le pays est en feu, certes, mais ses paysages sont grandioses et magnifiques, et vont redonner à Josie le goût de la vie simple et de la beauté brute. Le lecteur se sent d'ailleurs l'envie de sauter dans le premier avion pour aller en profiter, lui aussi, de cette belle nature avant qu'il ne soit trop tard, car la civilisation est hélas déjà passée par là. La fuite de Josie, pourchassée autant par les flammes que par ses angoisses, la mènera d'un camping à un squat, et pour finir dans une mine désaffectée, toujours plus loin de la civilisation, jusqu'au dépouillement extrême. Elle fera des rencontres insolites, inquiétantes, révélatrices ou enchanteresses, qui toutes lui apprendront quelque chose sur elle-même. 
 
"Le courage était le point de départ, ne pas avoir peur, avancer, à travers de petites difficultés, ne pas revenir en arrière. Le courage était simplement une façon d'aller de l'avant."
 
Elle est sympa et marrante, cette Josie qui imagine sa vie comme une comédie musicale. Elle est un peu foldingue, aussi, parfois, mais ses adorables enfants la retiennent toujours au bord de la connerie de trop. C'est une femme en quête de sens, qui ne sait pas encore qu'elle va à la rencontre d'elle-même, et nous pousse à nous demander : "Que faire d'une vie ?" J'ai aimé cette héroïne aussi déglinguée que son véhicule, et cette fuite en avant familiale et rustique dans une nature grandiose et tourmentée qui vous met à nu.
 
Titre original : Heroes of the frontier.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Juliette Bourdin,
Gallimard, "Du monde entier", 2018. - 400 p.
 
Et pour le défi 50 états en 50 romans, ce roman illustre l'Alaska.

 

 
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A
J'aime beaucoup les road-trips et celui-ci semble bien tentant : envie d'autre-chose, envie de grands-espaces, envie de libertés ! J'ai rencontré plusieurs enfants largement plus réalistes que leurs parents...C'était parfois bien lourd pour eux !
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P
Les enfants, dans ce roman, sont vraiment étonnants, pas seulement des figurants, et c'est parfois un peu compliqué pour eux aussi...
M
Tu donnes envie ;-)
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P
Tant mieux ! C'est un écrivain que j'apprécie beaucoup.
D
Je n'avais pas été très attirée par ce nouveau titre de Dave Eggers. Mais ce que tu en dis est intéressant. Toute la question est : arriverai-je à lui faire une place ?
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D
Disons qu'il y en a qu'on règle plus facilement que d'autres ;-)
P
C'est la question éternelle, non ? ;-)
K
J'ai aimé ce que j'ai déjà lu de Dave Eggers, des livres très différent du roman que tu présentes. Je l'ai déjà noté, merci pour le rappel ! ;-)
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P
C'est un auteur qui sait visiblement se renouveler et qui porte un regard acide sur l'Amérique d'aujourd'hui
A
Il y a tous les ingrédients pour passer un bon moment de lecture. Un peu de déglingue n'est pas fait pour me déplaire. C'est noté.
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P
Et j'aime bien les Américains qui dézinguer leur pays...
I
Je l'avais noté suite à un avis de Marie-Claude, j'adore ces histoires de "déglingués", comme tu dis... J'ai vu qu'il avait écrit un autre titre complètement différent par sa thématique, mais très intrigant, "Le cercle". Esr-ce que tu l'as lu ?
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I
Merci pour le conseil, je le note aussi dans ce cas !
P
Le cercle est drôle bien, sur le risque de totalitarisme numérique. Je conseille vivement !
C
Je me le note pour plus tard. J'aime bien le genre "raod-trip".
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P
Et puis l'Alaska mérite bien le voyage !