Underground railroad - Colson Whitehead

Publié le par Papillon

"Et l'Amérique est également une illusion, la plus grande de toutes. La race blanche croit, croit de tout son cœur, qu'elle a le droit de confisquer la terre. De tuer les Indiens. De faire la guerre. D'asservir ses frères. S'il y avait une justice en ce monde, cette nation ne devrait pas exister, car elle est fondée sur le meurtre, le vol et la cruauté. Et pourtant nous sommes là."
 

 

Cora est née, a grandi et a toujours vécu sur une plantation de coton en Géorgie, comme sa mère avant elle, mais elle se souvient des récits de sa grand-mère qui lui racontait la capture en Afrique, l'effroyable traversée de l'Atlantique, puis l'arrivée dans ce nouveau continent comme esclave vendue et revendue. Cora ne connaît rien d'autre que la captivité et l'asservissement. Caesar, lui, a une autre histoire : il a connu une semi-liberté dans une maison particulière, il a eu même droit à une éducation, avec promesse d'affranchissement à la clé. Mais à la mort de sa patronne il a pourtant  été vendu comme un meuble.  "La bizarrerie de l'Amérique, c'était qu'ici les gens étaient des choses."

Quand Caesar, ce nouveau venu sur la plantation, propose à Cora de s'enfuir avec lui, elle commence par refuser. Rares sont ceux qui ont réussi à fuir, les autres ont été vite repris et durement châtiés. Mabel, la mère de Cora, est l'une des rares à n'avoir jamais été retrouvée, et Cora lui en veut de l'avoir abandonnée quand elle n'avait qu'une dizaine d'années, car la vie est dure au village des esclaves pour une gamine sans protection, et rien n'a été épargné à la jeune fille. Elle y a gagné une détermination de fer. Et si elle finit par accepter de participer au plan de Caesar, c'est autant pour  gagner la liberté que pour fuir un maître devenu trop cruel .
 
Pendant des mois, nous allons suivre Cora et Caesar à travers les marais, les bois et les villages, dans leur fuite vers le Nord et une improbable liberté de l'autre côté de la ligne Mason-Dixon, frontière symbolique entre les états du Sud esclavagistes et les états du Nord abolitionnistes. Heureusement, Caesar connaît le secret : celui du chemin de fer souterrain, construit et géré par des esclaves affranchis, assistés de quelques Blancs, qui mène vers le Nord et une hypothétique liberté. Mais Cora et Caesar sont pourchassés par le plus féroce et le plus habile des chasseurs d'esclaves, Ridgeway.
 
"Moi je préfère l'esprit américain, celui qui nous a fait venir de l'Ancien Monde pour conquérir, bâtir et civiliser. Et détruire ce qui doit être détruit. Pour élever les races inférieures. Faute de les élever, les subjuguer. Faute de les subjuguer, les exterminer. C'est notre destinée par décret divin : l'impératif américain."
 
Colson Whitehead revient sur une des périodes les plus sombres de l'histoire des Etats-Unis et livre un roman qui harponne le lecteur dès les premières pages et se révèle pourtant extrêmement éprouvant à lire tant s'y déploie de haine et de violence. On en sort avec une espèce de nausée, l'odyssée de Cora étant une suite de captures et de fuites,  "comme si en ce monde il n'y avait pas de lieux où s'enfuir, seulement des lieux à fuir." Les mésaventures cruelles sont parfois suivies de moments lumineux, car la vie n'est jamais univoque et dans sa fuite Cora rencontrera quelques belles personnes.
 
L'auteur mélange le roman historique et la dystopie, parlant du présent autant que du passé, et propose plusieurs niveaux de lecture. Il y est certes question de l'esclavage, comment la logique économique est à l'origine de l'arrivée d'une population africaine sur le continent américain, et comment cette population a largement contribué par son labeur à la richesse du pays. Mais la traversée du pays par Cora est aussi prétexte à interroger la relation complexe qui unit les Blancs et les Noirs encore aujourd'hui, les différents Etats que traverse Cora illustrant plusieurs versants du racisme : de la Caroline du Sud faussement accueillante, qui pratique l'apartheid et la stérilisation forcée, à la Caroline du Nord où l'on croit revoir une version sudiste du Berlin nazi et antisémite des années trente, jusqu'à l'Indiana, fausse terre promise entourée par un océan de peur. Et le lecteur comprend comment tant de violence, de haine et d'incompréhension ne pouvaient mener qu’à la guerre civile.
 
Un roman en forme de conte cruel et glaçant, porté par un très beau portrait de femme en quête de libération, qui n'a cependant pas réussi à me faire totalement oublier l'excellent Racines d'Alex Haley, qui avait obtenu (déjà) le Prix Pulitzer en 1977.
 
D'autres billets : Kathel - Laure - Eva - Jérôme.
 
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.
Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, 2017. - 400 p.
 
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Commenter cet article
M
Un roman que j'ai adoré et que j'avais sélectionné pour les Matchs de la rentrée littéraire.<br /> Je note la référence qui t'a marquée car c'est un thème qui m'intéresse beaucoup.
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P
Racines est excellent aussi, quasiment un classique du genre.
A
J'avais déjà lu une très bonne critique de ce livre chez Dominique. Je le garde en tête, mais pour un peu plus tard, car je suis dans ma période syrienne et allemande et commence à faiblir devant tant d'horreurs.
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P
En effet, c'est assez éprouvant à lire, mais à lire quand même.
K
J'ai adoré ce roman. IL m'a fait une impression de folie. Et tu en parles beaucoup mieux que moi!
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P
Je ne peux pas dire que j'ai adoré parce que c'est une lecture éprouvante mais c'est un très bon roman.
L
je sais que ce livre va venir jusqu'à moi tout ce que je lis à son sujet m'intéresse
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P
Oui, c'est un livre à lire sur un sujet très actuel.
A
A lire tous vos commentaires, je crois bien qu'il va falloir que je me plonge dans "Racines".
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P
Comme je l'ai dit plus bas, ç'avait été une lecture vraiment marquante.
K
J'ai beaucoup aimé ce roman mais j'ai jamais lu Racines qu'il faudrait que je découvre afin de combler une grosse lacune.
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P
Racines avait été vraiment marquant pour moi, celui-ci l'est aussi mais dans un genre différent : plus dystopique qu'historique.
A
Aaah j'avais beaucoup aimé Racines aussi, un livre marquant. J'espère pouvoir tout de même caser ce fameux Underground Railroad prochainement même si j'ai lu pas mal d'avis mitigés ou pas surenthousiastes. La curiosité demeure.
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P
C'est un très bon roman, très éclairant sur le racisme aux Etats-Unis.
K
Je n'ai pas lu Racines, il faudra que je le lise pour pouvoir comparer aussi ! (j'ai été plutôt séduite par Underground railroad)
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P
Racines m'avait énormément marquée, c'est pour ça sans doute que j'y ai repensé. Underground railroad est très réussi aussi.
A
J'ai l'intention de le lire, mais je prends mon temps.
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P
J'ai attendu qu'il soit disponible à la bibliothèque, il est beaucoup sorti au début.
K
Ah Racines, je l'ai encore chez moi... Après Racines, lu il y a longtemps, et No home, j'hésite à lire cet Underground, qui risque de faire doublon?
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P
C'est un peu l'impression que j'ai eu même si c'est un très bon roman.