Jeux de miroirs - Eugene O. Chirovici
"La plupart des gens préfèrent les belles fables bien tournées aux vérités aussi complexes qu'inutiles."
Un manuscrit inachevé, le meurtre d'un spécialiste de la mémoire, un mélange de réel et de fiction : il n'en fallait pas plus pour que je me jette sur ce roman, annoncé par l'éditeur comme un "roman évènement".
Tout commence donc par un manuscrit que reçoit l'agent littéraire Peter Katz. L'auteur, Richard Flynn, qui n'a encore jamais rien publié, souhaite un avis professionnel sur ce récit où il raconte des événements dont il fut témoin vingt ans plus tôt : le meurtre d'un célébre psychiatre et professeur de psychologie. Peter est emballé par le texte dont il mesure tout le potentiel éditorial. Mais quand il rappelle Richard, il découvre que celui-ci est mort brutalement et que sa compagne ignore tout de ce manuscrit resté inachevé. Qu'à cela ne tienne ! Peter ne veut pas renoncer à une histoire aussi prometteuse, quite à en faire écrire la suite par quelqu'un d'autre. Il confie cette mission à un ami journaliste, John Keller, qui va mener l'enquête sur ce meurtre jamais élucidé. John parvient à retrouver quelques témoins de l'affaire et découvre que chacun lui raconte une histoire bien différente de celle qui s'ébauchait dans le manuscrit de Richard...
Tout commençait donc fort bien et je reconnais que cette histoire est fichtrement bien fichue, avec ses trois voix qui se succèdent pour tenter d'élucider le pourquoi et le comment du meurtre du Professeur Wieder. De l'agent littéraire au journaliste, puis au flic en retraite qui rouvre un vieux dossier, le cœur du sujet se déplace insensiblement du manuscrit au meurtre. Le premier rôle de l'histoire se décale parallèlement de Richard, auteur falot d'un récit truffé de mensonges, à l'énigmatique Wieder, lui-même auteur d'un livre jamais publié, et plongé dans de mystérieuses recherches sur l'effacement de la mémoire humaine à des fins thérapeutiques. Autour d'eux, tous les protagonistes ont un double visage : vrai et faux amoureux, vrai et faux délinquant, vrai et faux amnésique : tout baigne dans les mensonges et les fantasmes, les rumeurs et les illusions.
Mais, mais, mais... il y a un mais. D'abord, l'éditeur aurait pu s'abstenir de nous promettre un "suspense haletant", car de suspense dans cette histoire il n'y en a guère. Ensuite, je suis restée terriblement sur ma faim. Jeux de miroirs est un bon polar, malgré quelques invraisemblances et quelques facilités narratives, mais sur la question du rapport entre le réel et la fiction, je l'ai trouvé bien superficiel. Certes, l'auteur lance des fausses pistes dans plusieurs directions, et imagine plusieurs solutions et plusieurs coupables potentiels. Mais n'est-ce pas le principe même du polar ? Dans tout polar digne de ce nom, tous les témoins mentent et travestissent la réalité, soit délibérément, soit inconsciemment, et le boulot de l'enquêteur est précisément de démêler le vrai du faux pour faire jaillir la vérité. Si le but de l'auteur était de nous montrer que chacun d'entre nous passe son temps à réécrire sa vie et ses souvenirs, et à projeter ses fantasmes sur le réel, il n'y a là franchement rien de très nouveau, ni de vraiment transcendant. D'où ma déception : strictement proportionnelle à mon attente.
"Tous avaient commis des erreurs d'interprétation, parce qu'ils avaient été confrontés à leurs propres obsessions en essayant de regarder par une fenêtre qui, en réalité, était un miroir."
L'avis de Nicole.
Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet.
Les Escales, 2017. - 315 p.