Les maraudeurs - Tom Cooper
"On fait ce qu'on peut. Si jamais j'écris un bouquin sur ma vie, c'est comme ça que je l'appellerai : On fait ce qu'on peut, bordel."
Non seulement les habitants de la Louisiane ont eu à subir en 2005 l'un des pires ouragans jamais vus avec Katrina qui a ravagé leur région, mais à peine cinq ans plus tard il leur a fallu faire face à une épouvantable marée noire, catastrophe écologique sans précédent.
Rien d'étonnant donc à ce que les habitants de Jeanette soient un brin découragés, ils n'ont pour avenir que pauvreté et désespoir. La plupart d'entre eux sont pêcheurs de crevettes dans le bayou et la baie de Barataria, mais des crevettes il n'y en a plus guère et dans un sale état quand on en trouve. Du reste plus personne n'en veut, les Américains préfèrent la crevette chinoise à la crevette de Louisiane arrosée de pétrole, et les prix n'en finissent plus de chuter. Pourtant quelques-uns continuent d'y croire, comme Wes et son père. Mais la plupart renoncent, acceptant sans trop résister la prime de la British Petroleum qui cherche à éviter les poursuites judiciaires coûteuses. Pour les autres, c'est le règne de la débrouille et de la maraude. Le vieux Linquist, qui a perdu un bras, s'acharne toujours à trouver un trésor, les frères Troup ont misé sur une autre forme de trésor, en cultivant un champ de cannabis quelque part sur une île de la baie, dont personne ne veut rien savoir parce qu'ils ont la réputation d'être dingues et d'avoir la gâchette facile. Quant à Cosgrove et Hansen, pieds nickelés improbables de cette histoire, ils sont à l'affut de la moindre combine pour trouver à la fois de la dope et quelques dollars. Tout ce petit monde va se retrouver dans le bayou et un peu se marcher sur les pieds, pour le meilleur et pour le pire.
Bienvenue dans ce monde de désolation et de déperdition qu'est devenue la Louisiane, dont la peinture est si sombre que l'on se demande si l'on est toujours aux États-Unis, première puissance économique du monde, ou dans quelque pays en voie de développement, bouffé par les moustique et la corruption. Un endroit sans foi ni loi, complètement abandonné par l'état fédéral, à la fois proie de l'avidité des compagnies pétrolières et victime de leur irresponsabilité. Si le roman est aussi prétexte à revenir brièvement sur l'histoire de la Louisiane, on est bien loin des images d'Épinal de la Louisiane des plantations, des crinolines et des flirts sous des chênes centenaires décorés de mousse espagnole. Tout ce qui reste de cette époque c'est la demeure dėlabrée de la vieille Ms Préjean, métaphore cruelle d'un monde disparu, que des pillards sans scrupules vont dépouiller de ses derniers trésors. Mais le roman ne tombe jamais dans le paupérisme ni le pessimisme. Au contraire, tous ses héros un peu décalés continuent de courir après leurs rêves. Et l'auteur nous réserve quelques scènes croustillantes qui ne manquent ni d'humour ni de piquant. Le bayou tel que le dépeint Tom Cooper reste un lieu magique, une terre de pirates et de bandits, un lieu où l'on se cache et où l'on se perd, un univers luxuriant à la beauté vénéneuse, qui peut se faire piège et prison.
J'ai beaucoup aimé ce roman efficace et puissant, qui se termine par une belle note d'optimisme.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty.
Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, 2016. - 416 p.
Et ce roman illustre la Louisiane pour le challenge 50 états en 50 romans.