Aucun homme ni dieu – William Giraldi
« Les loups voulaient une histoire, songea-t-il, une histoire cousue dans l’étoffe de la vérité, non dans celle du mythe, une histoire qui ne verse pas dans la terreur. »
Décembre en Alaska. Il fait froid, il fait nuit, il fait faim. Chose rarissime, les loups s’approchent de plus en plus près des villages. Un jour, ils emportent un jeune enfant qui joue, puis un second. Le troisième est le petit Bailey Slone. Sa mère, folle de douleur, après l’avoir cherché pendant trois jours, écrit à Russell Core, un écrivain de nature writing, spécialiste des loups. Elle semble certaine qu’il pourra l’aider, non pas à retrouver son petit garçon, elle n’y croit plus, mais au moins à le venger. Russell Core accepte parce qu’il n’a plus rien à perdre. C’est un homme un peu désespéré : sa femme est en train de mourir, sa fille est devenue une quasi étrangère, il est vieux, seul et fatigué. Il cherche, au fond, à faire une sortie honorable. Et Core débarque à Keelut, au-delà du bout du monde, au-delà du 48e parallèle, dans un pays de glace, de nuit, de silence et de mystères, où tous ses repères vont basculer les uns après les autres.
« Une fois que vous aurez barré la route aux loups, alors il faudra la barrer aux bêtes qui hantent les esprits des hommes damnés, et aux hommes qui se damnent eux-mêmes jusqu’à devenir des bêtes, vous savez faire ça ? »
Ce roman est un défi pour qui veut en parler, car il faut à la fois donner envie et surtout ne rien dévoiler, tant l’auteur ne cesse de surprendre son lecteur en l’emmenant bien loin de là où il pensait aller. C’est un livre qui vous saisit peu à peu comme le froid s’empare de vous dans une tempête de neige, un livre qui vous fait battre le cœur de plus en plus vite, de plus en plus fort, au fur et à mesure qu’il vous plonge dans un paysage de glace, au sens propre comme au sens figuré. Car le premier personnage de cette histoire, c’est l’hiver, mais pas un hiver joyeux de patins à glace et de boules de neige, un hiver violent, mortel et déshumanisé. L’auteur, d'une plume d'une glaciale beauté, nous invite dans une terre sauvage où l’homme à demi abandonné par la civilisation devient un loup pour l’homme. La disparition du petit Bailey va en quelque sorte mettre le feu aux poudres du désespoir dans ce village qui crève de faim et d’ennui, et où règne une malédiction qui se chuchote à la tombée de la nuit.
Un roman impitoyable et beau, habité par la magie, qui n’est dénué ni de grâce, ni de beauté, ni d’amour.
« Il commençait à avoir peur de ce qu’il découvrait : que l’homme n’est chez lui ni dans la civilisation ni dans la nature – parce que nous sommes des aberrations coincées entre deux états. »
C’est Aifelle qui m’a donné envie.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mathilde Bach.
Autrement, 2015. – 310 p.