Bonheur fantôme - Anne Percin
Rentrée littéraire 2009
Sur un coup de tête, Pierre a tout quitté, ou presque : sa vie parisienne, son pseudo-boulot de mannequin, son appartement et son amour. Les coups de tête, ça le connaît. Il a déjà abandonné ses études de philosophie et sa thèse sur Simone Weil pour l’amour des vieux meubles. Mais cette installation dans la Sarthe, ce n’est pas seulement un virage dans sa vie, c’est une fuite.
« La Sarthe, pour moi, est sans mémoire. Je n’y ai pas d’attaches, pas de passé. Depuis que je suis là, ça va faire dix-huit mois, je me répète qu’en cas d’urgence, je partirais. Toujours plus loin, Petit Poucet fou qui jetterait des cailloux. »
Pierre a l’air d’un garçon tout simple. Il tient une petite boutique de brocanteur, remplit sa maison de chiens et chats errants, devient copain avec sa vieille voisine Paulette, qui lui prête sa chèvre et lui apprend à dépecer un lapin. Et accessoirement, il écrit la biographie d’une peintre animalière du XIXe siècle qui le fascine parce qu’elle s’habillait en homme et aimait les femmes. « Elle s’appelait Rosa Bonheur. Je l’ai rencontrée au Père Lachaise. » Mais tout ça, c’est une façade.
« On ne me saoule jamais, même pas d’histoires. Je tiens l’ennui, comme d’autres tiennent l’alcool. Je ne contredis pas, je ne polémique pas, j’écoute. »
Pierre est un taiseux qui porte un masque pour cacher ses failles et ses blessures. Sur sa vie plane un fantôme qui l’a longtemps empêché de vivre. Depuis Pierre a peur des sentiments violents, peur de l’abandon. Cette retraite à la campagne, c’est l’occasion pour lui de réfléchir à la vie, à sa vie, à ce qui compte vraiment. Il va prendre son temps pour se dévoiler, mais bribe à bribe, entre une brocante et un civet de lapin, il va comprendre pourquoi il a quitté R. si brusquement et à son cœur défendant. Et quand l'absence du charismatique et fascinant R., son amour trop grand et trop fort, devient brûlure, Pierre apprend à aimer comme un adulte.
« Le bonheur, même quand il vous est donné d’un coup, il faut se retenir d’en jouir trop vite, il faut en faire de petites provisions pour les jours d’après. »
C’est un roman tout en délicatesse, avec un héros que l’on aime dès les premières lignes pour sa fragilité et sa détermination, un héros qui nous ressemble. Sa vie à la campagne m’a donné une bouffée de nostalgie pour mon enfance campagnarde. Une très jolie plume pour ce roman qui explore tout en simplicité les méandres de l'âme humaine, et raconte une grande histoire d’amour, qui a fait pleurer l’âme sensible que je suis (quoique tout à fait capable, par ailleurs, de dépecer et vider un lapin, je suis au regret de le confesser).
J'en profite pour vous signaler que le ravissant petit bar qui se trouve tout en haut du parc des Buttes Chaumonts (Paris 19) s'appelle justement Rosa Bonheur.
Un roman qui a déjà charmé Cathulu, Clarabel, Laurent et In Cold Blog
Rouergue, 2009. – 220 p.