Le dernier thriller norvégien - Luc Chomarat

Publié le par Papillon

"Le rôle d'un artiste, donc d'un écrivain, est d'introduire le doute là où il y avait certitude. Un peu le contraire du politicien, si vous voulez."
 
Prenons un écrivain parisien, un peu en bout de course, amoureux de la littérature, certes, mais fermement réfractaire à la modernité et ses innovations toxiques. Baptisons-le Delafeuille puisqu'il n'aime que le papier, et imaginons-le débarquant à Copenhague pour négocier les droits de traduction du roi du polar nordique, soit à peu près tout ce qu'il déteste. Dans le hall de son hôtel, il croisera deux collègues et concurrents, dont l'un ne rêve que de lecture connectée, interactive et augmentée, soit à peu près tout ce qu'il déteste (bis). Il croisera aussi, première diffraction avec le réel, Sherlock Holmes, sur les traces d'un serial killer que la presse a baptisé l'Esquimau et qui prend plaisir à éventrer de jolies femmes.
 
"Vous ne pouvez pas être Sherlock Holmes, pour trois raisons, et l'une d'elles suffirait. La première : Sherlock Holmes est un personnage de fiction."
 
Réel et fiction peuvent-ils vraiment se croiser et interagir ? Sans doute, puisqu'en lisant le le dernier manuscrit de Olaf Grundozwkzson (les auteurs du Nord ont forcément des noms imprononçables), Delafeuille découvre avec effroi qu'il est lui-même l'un des personnages, tout comme l'Esquimau. De là à imaginer que l'auteur et l'assassin ne sont qu'une seule et même personne, il n'y a qu'un pas. Et Delafeuille ne sera pas fâché de pouvoir compter sur Sherlock pour démêler ce sac de nœuds fictionnel. Mais un personnage peut-il échapper à son créateur ? (Si Delafeuille avait lu Pierre Bayard, il saurait que oui)
 
"Quand on a éliminé l'impossible, ce qui reste doit être la vérité, si improbable soit-elle."
 
Voilà un petit roman parfaitement réjouissant qui se moque de la mode du polar nordique et, plus généralement, du marketing éditorial qui formate la fiction pour la plier au goût du lecteur, cette espèce en voie de disparition. Luc Chomarat joue donc avec tous les codes et les poncifs du roman policier venu du Nord. Il en profite pour créer une vertigineuse mise en abyme de la fiction jusqu'à donner le tournis au lecteur. Ce faisant, on sent qu'il s'amuse beaucoup avec une intrigue un peu tirée par les cheveux, mais il amuse aussi beaucoup son lecteur. Et plus sérieusement, il s'interroge sur l'avenir du livre à l'heure du numérique et de la littérature standardisée.
 
"L'écriture est le lieu de tous les possibles, et pas celui d'un exercice comptable comme on essaie de nous le faire croire aujourd'hui..."
 
Une petite gourmandise dont il serait dommage de se priver.
 
C'est Nicole qui m'a donné envie.
 
La Manufacture de livres, 2019. - 208 p.
 
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L
cela a l'air réjouissant.
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P
tout à fait réjouissant :-)
A
En effet. Ton article donne immédiatement envie de le lire. Réfléchir et s'amuser. C'est parfait ! De plus , n'étant plus très "fan" des polars nordiques, les voir un peu malmenés ne me dérangerait pas.
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P
Si on aime les trucs un peu loufoques, on s'amuse beaucoup !
A
Je ne suis pas tentée, a priori, mais ton billet me fait réfléchir ; je crois que je m'en faisais une fausse idée.
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P
Il faut aimer la loufoquerie, c'est sûr...
M
Oh, il m'a l'air sympathique ce roman, même si je crains un peu la mise en abyme. La première phrase en introduction est accrocheuse ;)
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P
Le mélange réel-fiction est inattendu et très réussi.
C
Beaucoup aimé aussi! parfaite alliance de réflexion intelligente et d'absurde.
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P
C'est exactement ça !
N
Hé hé... on passe un bon moment, hein :-) Ravie que tu te sois laissée tenter...
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P
Dès qu'il y a un mélange du réel et de la fiction, je suis incapable de résister, et j'ai trouvé ça très bien fichu .
K
Bon je viens de découvrir qu'il est à la bibli, je fonce! (et Bayard, bien sûr...)
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P
Je suis sûre que tu vas adorer !