Un certain M. Piekielny - François-Henri Désérable

Publié le par Papillon

"C'est peut-être cela et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grand ouverts, n'avoir ni Dieu ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imposer sa propre illusion."
 
 
Je n'avais encore jamais lu François-Henri Désérable, mais outre le fait que je trouve son nom éminemment romanesque (on l'imagine sans peine trônant fièrement à la proue de quelque trois-mâts voguant vers l'aventure), le thème de son dernier roman, un auteur qui part sur les traces d'un personnage de roman, ne pouvait que me séduire.
 
Tout commence par une série de coïncidences. Le narrateur (qui porte le même nom que l'auteur, mais rien ne prouve qu'ils ne soient qu'une seule et même personne, rien ne dit en effet que l'auteur soit originaire d'Amiens, qu'il soit fou de hockey sur glace, ni qu'il ait interrompu ses études de Droit après avoir découvert une bibliothèque et décidé de consacrer sa vie à la littérature - et l'on verra que cet écart entre réel et fiction, entre personnages authentiques ou imaginaires est au cœur du roman), le narrateur, donc, est de passage à Vilnius, capitale de la Lituanie, quand un incident l'oblige à prolonger son séjour de quelques heures. Il en profite pour baguenauder dans les rues de la ville, et se retrouve nez à nez avec l'immeuble où vécu Romain Gary. Or, ce narrateur vénère Romain Gary, dont il connait presque par cœur l'autobiographie romancée, La promesse de l'aube. La chance avait voulu qu'il fut interrogé sur ce roman à l'oral du bac, et notamment sur le passage ou apparaît M. Piekielny, ce qui lui avait valu une excellente note. L'envie le prend de retrouver la trace de ce personnage, simple figurant du roman qui rêvait de gloire et mourut dans un camp de concentration, et avait fait jurer au jeune Roman Kacew de le citer chaque fois qu'il rencontrerait une célébrité, par ces mots : " Au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilmo, habitait un certain M. Piekielny…" Le narrateur se lance donc dans une enquête, un peu comme Jaenada, sauf qu'ici on n'est pas devant une personnalité mais face à une insignifiance.
 
"Qui compte mener l'enquête se couvre d'un trench, coiffe un chapeau melon, tire quelques bouffées d'une pipe en écume et se pourvoit d'une loupe - ou ne fait rien de tout cela et va sur Google."
 
Le narrateur interroge donc les quelques indices qui mènent à ce personnage, il lui faut fouiller le texte, mais aussi les archives, par correspondance d’abord, sur les lieux ensuite, chercher une trace dans les registres des camps de concentration. Peu à peu c'est toute l'histoire tragique de Vilnius qui surgit, et notamment celle du ghetto juif qui fut rayé de la carte. Mais, tout comme il ne reste rien de la ville juive de Wilmo, il ne reste rien de M. Piekielny. Or, l'on sait aujourd'hui que Romain Gary était un menteur de première, qui a beaucoup falsifié la vérité dans La promesse de l'aube. Alors notre narrateur part aussi sur les traces de ce flamboyant personnage que fut Gary, mystificateur et manipulateur, qui a toujours embellit le réel, et dont la mystification suprême fut d'obtenir deux fois le Prix Goncourt. La question initiale "Qui était M. Piekielny ?" devient bientôt "M. Piekielny a-t-il vraiment existé ?"
 
" Qu'est-ce qu'un mensonge, sinon une variation subjective de la vérité ?"
 
Ce roman est un patchwork : cela ressemble à une fausse biographie de Gary en forme d'exercice d'admiration, mais ça prend très vite une autre voie....  On y trouve un peu de la vraie vie de Gary, beaucoup de scènes reconstituées par l'auteur, qui se met dans la tête de son personnage pour nous le rendre plus vivant, tout comme il invente une vie (et une mort) à M. Piekielny. Il y a même un un peu de sa vie à lui, traçant un parallèle entre deux figures de mères : la sienne et celle de Gary. Toute son entreprise revient à ébaucher une ligne (tâche impossible) entre ce qui relève du réel ou de l'imaginaire dans un texte littéraire, quel qu'il soit. Jusqu'au bout, M. Piekielny reste une énigme et devient la figure emblématique d'une vérité qui se refuse à qui la cherche. 
 
La plume de François-Henri Désérable est très élégante, délicatement ironique, bourrée d'autodérision, et l'auteur se garde de toute admiration béate envers Gary, sur lequel il porte un regard amicalement critique. Pourtant, je suis restée un peu sur ma faim, avec un goût d'inachevé, un peu déstabilisée par ce mélange des genres, qui ouvre plein de pistes sans en choisir aucune.
 
Le billet de Delphine.
 
Gallimard, coll. Blanche, 2017. - 272 p.
 
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Commenter cet article
V
J'avais commencé son roman précédent mais au bout de cinquante pages, j'ai compris que le style ne serait pas pour moi.
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P
Ce n'est pas tant le style qui m'a gênée que l'approche du sujet.
C
Même sentiment d’insatisfaction. Tout ça pour ça...
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P
Surtout après l'avoir vu sur toutes les listes de prix...
F
J'ai très envie de lire ce livre depuis que j'ai lu "La promesse de l'aube" mais j'ai très peur que cela casse un mythe...
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P
Non au contraire, ça donne un éclairage intéressant sur Gary, parce que l'auteur est surtout un grand admirateur.
L
il n'a pas été appréciée par les membres de mon club et je n'ai pas eu le temps de le lire, tu es la première personne à le défendre aussi bien.
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P
Delphine et Nicole sont bien plus enthousiastes que moi encore.
A
Tu es moins emballée que Delphine. Je me méfie un peu des exercices littéraires et puis, je n'ai pas envie de toucher au souvenir que j'ai de "la promesse de l'aube". Je verra éventuellement à la bibli.
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P
Je trouve que tous les commentaires dithyrambiques sur ce roman sont un peu exagérés...
D
Bon, moi j'ai été complètement conquise, comme tu le sais. Il me semble que Désérable marche dans les pas de l'écrivain qu'il admire en jouant avec es lecteurs. J'ai adoré sa plume et son ton. et, moi qui n'ai jamais lu Gary, je me suis régalée à en apprendre un peu plus sur cet étonnant personnage.
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D
Ah, c'est curieux, je n'ai pas eu du tout cette impression ! J'ai trouvé au contraire qu'il faisait vraiment comprendre toute la singularité de l'auteur Gary, qu'il parvenait extrêmement bien à mettre en lumière ce jeu, que tu connais ô combien, entre fiction et réalité. Désérable est ici lui-même auteur (jouant à son tour) ET lecteur. Ce qui rend la chose d'autant plus riche et passionnante, selon moi.
P
Moi aussi j'ai aimé sa plume, c'est le côté positif de ma lecture. Pour le reste j'ai eu un peu l'impression que n'ayant pu mettre la main sur M. Piekielny, il avait fait un peu de remplissage. ...
M
J'hésite encore pour cette lecture, je crains de m'y perdre ( parce que, finalement, je connais peu Romain Gary ). J'attends ton avis sur le Pamuk autour duquel je tourne aussi.
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P
Connaître ou non Gary n'est pas vraiment un problème, je pense. Ce nnest pas ça qui m'a gênée. ..
K
Tu es moins enthousiaste que ce que j'ai pu lire jusqu'ici... Je me contenterai prudemment d'un emprunt si je le trouve en bibliothèque.
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P
Après l'avoir vu sur toutes les listes de prix, je m'attendais à autre chose.
G
Cela me semble surtout un exercice littéraire, brillant sans doute, mais qui empêche le lecteur de vraiment participer...
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P
C'est un peu ça, oui, même si l'auteur a beaucoup d'humour.
K
De l'auteur (rencontré en salon) j'ai lu evariste, un tout autre personnage. ^_^
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P
Je pense que tu aimerais sûrement ce genre d'exercice.