Vernon Subutex 3 - Virginie Despentes
"C'est pas facile de partager. Il faut comprendre les riches. On a ça dans le sang, les humains : on n'aime pas partager. "
Deux ans que nous nous demandions ce que devenait Vernon Subutex et quand nous aurions le plaisir de retrouver l'ex-disquaire jeté à la rue par la révolution numérique. Et le voici qui nous revient enfin, toujours entouré de sa bande hétéroclite d'ami-e-s venu-e-s de tous bords. Ils vivent toujours en marge, dans ce qu'ils appellent "le camp", un camp itinérant qui se déplace aux quatre coins de la France et où s'organise régulièrement un rassemblement festif baptisé "convergence". On y assiste sur invitation et on y bannit drogues et téléphones portables. On y rêve d'un monde déconnecté et collaboratif, et on y danse jusqu'à la transe sur les playlists de Vernon. Jusqu'à ce qu'une promesse d'héritage vienne remettre en question ce fragile équilibre. Et pendant ce temps, le producteur Laurent Dopalet, lourdement agressé par deux membres du groupe, rumine sa vengeance.
"Il pense que personne n'est solide. Rien. Aucun groupe. Que c'est le plus difficile à apprendre. Qu'on est les locataires des situations, jamais les propriétaires."
Virginie Despentes reprend sa chronique de la France contemporaine avec le même procédé utilisé dans les deux premiers volumes, qui donne la parole à une multitude de personnages et fait entendre tous les points de vue, et en priorité celui des faibles, des exclus, des perdants. S'y déploient toutes les colères, toutes les frustrations et toutes les désillusions d'une société fracassée. C'est toujours très politique : critique de l'ultralibéralisme qui saccage le monde, condamnation des riches qui exploitent les pauvres, dégoût de la gauche qui abdique ses idéaux dès qu'elle parvient au pouvoir. On y retrouve tous les événements qui ont marqué les années 2015-2016 : les attentats, Nuit Debout, les réfugiés, et même la mort de Bowie, ainsi que tous les thèmes qui traversent la trilogie depuis le début : racisme, exclusion, crise sociale et politique, violence faite aux femmes.
"Ce que tout le monde cherche, au fond, c'est l'entre-soi. N'avoir à se coltiner que des gens qui te ressemblent. Pas d'étrangers. Et le ciment le plus facile à trouver pour souder un groupe restera toujours l'ennemi commun."
Ce qui me frappe dans ce roman c'est que l'auteure analyse très finement toutes les situations, et fait preuve d'une incroyable empathie envers tous ses personnages, même ceux qui professent les opinions les plus dérangeantes. Avec Despentes, on n'est jamais dans le politiquement correct ou la langue de bois, on est dans la tête de gens qui ont des choses à dire, et les disent sans fard. On a un peu l'impression d'être en présence d'un chœur de tragédie grecque qui implore des dieux invisibles et absents et ne reçoit jamais d'autre réponse que le drame. C'est en tout cas toujours très addictif et très noir, mais peut-être moins mordant que les autres volumes, ou alors je me suis habituée, ou alors on a entendu tellement d'horreurs pendant la campagne présidentielle que plus rien ne nous surprend... La fin très pessimiste laisse à peine entrevoir un filet d'espoir et de lumière...
"Chaque instant doit être savouré pour ce qu'il est - une grâce avant liquidation."
Grasset, 2017. - 400 p.