Croire au merveilleux - Christophe Ono-dit-Biot

Publié le par Papillon

"J'aime les mots, leur sens ancien, les passerelles que ça crée. L'impression d'un ordre, d'une cohérence, d'un enracinement, le seul qui tienne dans ce monde de folie. Où les mots ne veulent plus rien dire. Où la vérité ne compte plus. Où la nuance est morte."

Comment résister à un tel titre, alors que de gros nuages noirs semblent s'accumuler au-dessus de nos têtes ? D'ailleurs, ce roman m'a littéralement sauté dans les bras alors que je déambulais dans les allées de la bibliothèque, en quête d'une histoire qui me fasse oublier le monde. Pas forcément le roman le plus gai.

"C'est donc ça le deuil ? Être confronté au silence ? Se fracasser constamment contre le mur de l'absence ? Chialer tout en conservant l'espoir d'un miracle ?"

César a perdu la femme qu'il aimait, la belle et talentueuse Paz, qu'il adorait. Elle s'est noyée peu après avoir l'avoir quitté. De son absence il ne se remet pas, d'autant qu'elle s'accompagne d'une question obsédante : l'avait-elle quitté pour toujours, ou dans l'idée de revenir? Bref, l'aimait-elle encore ? Alors César veut mourir, il lui semble qu'il ne pourra jamais être un vrai père pour son fils qui ressemble tant à sa mère. Il s'est donc préparé un petit cocktail médicamenteux destiné à l'envoyer ad patres. Mais voilà qu'en plein milieu de l'opération, on sonne avec insistance à sa porte. C'est une très jeune femme qui se prétend sa voisine alors qu'il ne l'a jamais vue. Elle est grecque et s'appelle Nana. Ce n'est qu'en lui prêtant l'un de ses livres qu'il parvient à s'en débarrasser, un classique de la littérature grecque dont il est fou. Mais après son depart il réalise que le moment, son moment, est passé. Comme dit le poète, "il faut tenter de vivre". Nana va l'y aider. C'est à la fois en acceptant l'amitié de cette jeune femme, dont on comprend bien qu'elle est le doigt du destin, et en explorant les souvenirs des jours heureux, que César va retrouver l'envie de vivre et d'être à nouveau un père et un homme.

"La planète entière aimait, célébrait la vie, jouissait. Moi j'étais seul et maudit."

On ne peut nier qu'il y a beaucoup de grâce dans ce roman, très joliment écrit, d'une plume moderne et alerte qui ne tombe jamais dans le pathos, et qui parvient à évoquer une tragédie avec une certaine légèreté. Parce que c'est un roman sur le deuil, mais aussi sur le goût de la vie. Et il est bien difficile de ne pas être touché par un homme qui souffre et par le sourire d'un petit garçon. Ce roman est la suite de Plonger (que je n'ai pas lu, mais ce n'est pas un problème) et s'enroule comme une vague sur le thème de la mer. On y croise des sirènes et des nageuses, on s'y égare sur des plages et dans des grottes sous-marines, on y plonge beaucoup, dans le chagrin, dans l'alcool ou dans la littérature grecque.
 
Mais tout cela m'a quand même semblé bien creux : on se baigne sur toutes les plages lumineuses de Méditerranée, on déjeune de poulpe et de pisco sour sur des terrasses secrètes en dissertant du rôle des data scientists, on traverse Paris en scooter pour assister à des fêtes privées dans de somptueux appartements, on traverse l'Europe en jet privé. Les meubles sont designés, les vins millesimés, le name-dropping abondant. J'ai eu l'impression que l'auteur m'entrainait dans un monde artificiel qui n'est pas le mien, un monde où beauté rime forcément avec richesse et célébrité.
 
Je retiens donc surtout de ce roman que c'est un véritable hommage à la littérature grecque, à ses mythes et à ses héros, qui ont construit notre imaginaire et notre culture, et à toutes les histoires qui nous emportent loin de nous-mêmes et nous aident à vivre, souvent. Oui, il faut croire au merveilleux. 
 
Gallimard, 2017. - 237 p.
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G
Tu m'inquiètes un peu là, car dans Plonger (que j'ai beaucoup aimé) il y a déjà ce côté grand bourgeois malheureux qui arpente le tout Paris, mais le tragique rattrape tout, et du coup pour moi c'était un peu un détail, j'ai peur que ce soit plus prédominant dans cette histoire de renaissance (puisque c'est bien ça dont il s'agit ?). Je serais très triste d'être déçue par voire au merveilleux, tellement j'ai aimé le premier volet, j'espère vraiment ne pas avoir le même ressenti que toi ;-)
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P
Apparemment je suis une des rares à avoir ce ressenti mais moi, au bout d'un moment ça m'a carrément énervée, alors que l"histoire se tient plutôt bien, il n'y a pas de pathos, mais ça donne un peu l'impression que le narrateur revient à le vie parce qu'il a de la culture et des amis fortunés.
V
J'ai été plus sensible au thème du roman et c'est vrai que le fait que la Grèce y joue une grande importance a emporté mon adhésion.
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P
C'est le côté qui m'a vraiment plu, mais ça ne m'a quand même pas suffi. Ça reste très léger. ...
F
Le titre me plaît beaucoup mais tes nombreuses réserves m'ont refroidie :(
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P
Moi aussi, le titre me plait beaucoup, et toutes les références à la mythologie grecque aussi, mais ça ne m'a pas suffi.
D
Un peu pareil que Luocine, je dois dire. Et bien que le billet de Nicole sur ce livre ait été très enthousiaste...
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P
Ah oui, Nicole est plus indulgente que moi :-)
L
au début du billet je me disais tiens je vais mettre ce roman dans mes listes de lecture, et puis non le "un peu creux" m'a arrêtée.
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P
Tu peux toujours tester : il n'est pas très épais et se lit très vite.
K
Je n'ai rien lu de cet auteur, je crains justement ce que tu lui reproches... j'aime bien lire à propos de mondes qui ne sont pas les miens, mais alors, il faut que cela me dépayse davantage !
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P
Pareil pour moi, et là ça m'a semblé très artificiel.
A
En disant que le roman est un peu creux, tu mets le doigt sur ce que je crains de la part de cet auteur (au demeurant très sympathique). Mais il faudrait que j'en essaie au moins un.
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P
Je voulais tester aussi, c'est fait ;-)