Romanesque - Tonino Benacquista
Rentrée littéraire 2016
"N'obéir à aucun code. Être invisible. Ne prétendre à rien. N'avoir aucun compte à rendre. Nier le sens commun. Prouver en disparaissant que rien de ce que propose l'évolution n'a d'intérêt. Échapper à l'universel."
Quelque part en Californie un couple d'amoureux est en fuite vers le Nord dans l'idée d'atteindre au plus vite le Canada où un refuge leur semble promis. Mais aux abords de Chicago, une affiche de spectacle attire leur attention et ils ne peuvent résister. Le théâtre propose une vieille pièce anglaise, Les mariés malgré eux, qui relate la fuite éperdue dans l'Europe de Moyen-Age d'un couple d'amoureux pourchassés pour des raisons quelque peu insensées. Entre les amoureux d'hier et les amoureux d'aujourd'hui, il y a forcément un lien, mais il serait fort cruel de vous en dire plus, tant ce fabuleux roman à l'imagination débridée est fichtrement bien ficelé et recèle une foultitude de surprises.
J'ai été bluffée par la maîtrise et l'inventivité du romancier qui joue sur plusieurs genres littéraires tout en évitant tous les clichés. En nous faisant voyager dans le temps et dans l'espace (et au-delà...), sur les terres et sur les mers, Benaquista revisite le roman d'aventures tout en distillant tous les ingrédients du grand roman populaire : des pirates, un carrosse lancé à toute allure sur des routes désertes, des vaisseaux en perdition, un harem, un asile de fous, une peuplade d'Amérique du sud, des planteurs de thé chinois, des Cosaques, des nomades du Sahara, et que sais-je encore ? Il y a dans cette histoire de la faim, de la soif, de la peur, et bien sûr un courage à toute épreuve, car nos amoureux sont animés d"une foi inébranlable en leurs sentiments. L'auteur réinvente le roman d'amour en s'interrogeant sur l'essence même de l'amour (folie, maladie, délire imaginatif ?), en revisitant le mythe du couple d'amoureux indestructible et en se demandant si l'amour ne serait pas la dernière aventure qui reste à redécouvrir aux pauvres terriens abimés que nous sommes.
Car l'auteur mène aussi dans ce roman une discrète mais bien présente réflexion philosophique sur la question du bien et du mal, sur la singularité et la norme, et une réflexion politique qui lance une éclairage glacial sur nos temps modernes. Et, cerise sur le gâteau, il nous offre aussi un jeu malicieux sur le rapport du réel et de la fiction, et les mystères de la création littéraire : à quel moment le réel se fictionnalise, comment l'auteur se confronte à ses personnages, et comment il trouve cet équilibre délicat entre le style et l'histoire. Roman foisonnant et très habilement mené, qui commence comme une gentille fable médiévale et se transforme rapidement en une haletante course poursuite, Romanesque est le roman des romans.
Un gros coup de cœur, que je dois à ma chère Delphine-Olympe.
Gallimard, coll. Blanche, 2016. 240 p.