Mateo - Antoine Bello
"Pourquoi jouer si ce n'est pas pour gagner ? "
Il fallait vraiment que ce soit Antoine Bello, pour que je me lance dans un roman dont le sujet principal est... le football. Mateo, en effet, le héros de cette histoire, est un jeune footballeur. Il est si talentueux que dès sa sortie du lycée, il reçoit les propositions les plus mirobolantes de tous les grands clubs européens, des propositions qui se chiffrent en millions d'euros. Pourtant, à la surprise générale, il décide de s'inscrire dans le club universitaire de sa petite ville de province. Il a pour objectif de gagner le championnat universitaire pour réaliser ce qui fut l'idéal de son père, entraîneur trop tôt disparu de ce même club. Mais il va avoir un peu de mal à s'insérer dans cette équipe d'amateurs, qui sont loin d'avoir son talent et sa motivation. Il va commettre des erreurs, tâtonner, tomber, se relever.
"Mateo tenait à honorer ses parents avant de prendre son envol. C'était le prix de sa liberté. Il avait passé son bac pour faire plaisir à sa mère et il s'apprêtait à remporter le championnat en mémoire de Michel. Il allait donner un sens à leur histoire. Ensuite, il écrirait la sienne."
Je mentirais si je disais que j'ai tout compris de la technique et de la stratégie footballistiques qui s'expriment dans ces pages (ma culture en matière de football tient sur un timbre poste et date du siècle dernier), mais peu importe. Car le vrai sujet de ce roman est moins le football que le talent. Que devons-nous faire des talents qui nous sont échus ? Chacun des personnages du roman offre une réponse à cette question, le plus emblématique de tous étant, bien sûr, Mateo qui a reçu un talent réellement exceptionnel. Et avec Mateo, Antoine Bello a vraiment imaginé un très beau personnage, qui poursuit avec une volonté farouche un idéal qui peut paraître quelque peu absurde. J'ai aimé justement que l'auteur aille un peu à contre-courant de notre époque hyper matérialiste, et nous dise qu'il existe d'autres idéaux que de vouloir s'enrichir très vite. Mateo va quand même trouver sa place dans cette équipe aux talents divers, devenant peu à peu l'allié du coach d'abord un peu réticent. Ensemble, ils vont élaborer un programme, une méthode, une stratégie. Mateo va soumettre ses camarades à un entraînement de folie : footing, musculation, technique… Par le biais de ce personnage, Bello montre que le talent sans le travail n'est rien, de même que le talent individuel ne suffit pas : "Il n'y arriverait pas seul, toute l'équipe devait progresser." J'ai aimé tout l'aspect collectif1 du jeu qui se met peu à peu en place, l'idée d'un "football total", où chaque joueur est polyvalent2. J'aurais cependant aimé en savoir un peu plus sur Mateo, la raison de son acharnement, la réalité de son désir. Sa vérité profonde nous reste à jamais cachée, comme si l'essentiel était indicible…
Ce roman m'a beaucoup touchée parce que je devine ce que l'auteur y a mis de lui-même. Mateo se comporte parfois comme un chef d'entreprise qui croule sous le poids des responsabilités, animé par un besoin impérieux de se fixer des objectifs toujours plus élevés, quitte à y laisser une part de soi, habité par une forme d'obsession destructrice et une incapacité à réellement jouir du succès. Un roman que je trouve finalement assez triste, comme si le fait de posséder un talent exceptionnel condamnait à une forme de solitude existentielle, le talent comme malédiction plutôt que bienfait.
"La joie qu'engendrait un succès était de courte durée et réclamait à être entretenue sous peine de s'éteindre."
Gallimard, 2013. Folio, 2014. - 328 p.
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1. C'est amusant d'ailleurs, parce que j'ai lu une critique de ce roman, qui voudrait que Bello y fasse l'apologie de l'individualisme, alors que ma lecture est exactement inverse.
2. Une idée qui semble anticiper ce que Bello imagine dans Les producteurs, deux ans plus tard, avec le jeu des Chupacs.