Élisabeth ou l'Équité - Éric Reinhardt
"Equité n'est pas justice, c'est l'appréciation de ce qui est dû à chacun. L'équité c'est la vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l'injuste."
Lors de la rencontre littéraire de Tête de lecture dont je parlais hier, Eric Reinhardt nous confiait qu'il est en train d'écrire une pièce de théâtre, un genre qu'il affectionne particulièrement et auquel il entend se consacrer davantage à l'avenir. Ce qui m'a instantanément donné envie de lire sa première pièce qui s'est jouée au théâtre du Rond-Point en 2013.
Elisabeth Basilico est DRH d'un grand groupe industriel qui appartient à un fonds de pension américain. La direction a décidé de fermer un atelier de fabrication dans l'un des sites français, ce qui va entraîner la suppression de 192 emplois sur le site en question. Elizabeth est donc chargée d'entamer une négociation avec les syndicats pour aboutir à un accord qui doit préserver les intérêts de l'actionnaire tout en accordant aux salariés des conditions acceptables de licenciement.
C'est une partie de poker à quatre qui va s'engager : l'actionnaire, le patron de la boite, la DRH et les syndicats. Deux contre deux, en théorie, sauf que Elizabeth n'est pas un médiateur neutre puisque qu'elle se place plutôt du côté de la direction que de celui des salariés, "malgré le vague vernis social qu' [elle a] parfois la coquetterie d'arborer, quand [elle a] en face d' [elle] de vrais cyniques", et que son objectif est d'aboutir à l'accord le moins coûteux possible pour la boite. Dès le départ, la négociation s'annonce délicate parce que l'actionnaire américain veut négocier au plus bas, sans vraiment laisser à Elisabeth de marge de manœuvre.
Cette pièce est en quelque sorte un spin off du Système Victoria, puisque qu'Eric Reinhardt y développe un épisode de ce roman. On y retrouve d'ailleurs Peter Dollan, qui dirige justement le fonds de pension Victoria Capital. Ce texte, qui évoque la liquidation du site industriel de Florange, et où résonnent plusieurs des romans de l'auteur, est bien sûr une critique de l'ultralibéralisme et de son oubli total de l'intérêt général au profit de l'enrichissement de quelques-uns : quand la logique financière prend le pas sur la logique humaine.
"Le système auquel tu t'es dévouée avec zèle pendant toutes ces années est hideux, tu l'as toujours nié, tu viens d'en recueillir la preuve : je ne pouvais pas rêver plus belle démonstration pour te convaincre. La machine que tu fais fonctionner, dont tu es payée pour aiguiser les pales, s'est retournée contre toi, elle est en train de te hacher."
Car le conflit n'épargnera personne, ni la DRH, ni le directeur, ni les salariés, car personne n'est totalement innocent dans cette histoire et c'est un élément qui m'a beaucoup plu : l'absence de manichéisme et la mise en évidence de la complexité de chacun, ses contradictions, ses renoncements, ses trahisons. La pièce, riche en retournements de situations, contient une réelle tension dramatique. Et le final, malgré les dégâts collatéraux, n'est pas complètement dénué d'espoir sur l'avenir du système.
"Si on le voulait, on pourrait être nombreux, dedans, à l'adoucir, le système libéral : à y faire œuvrer clandestinement la notion d'équité."
C'est du Reinhardt pur jus, très bon (même si je le préfère dans la densité de la forme romanesque ), qui mélange l'intime et le social et met en scène l'oppression de l'individu par l'entreprise, et où l'on voit l'Américain exalter la lumière de l'automne et la vertu de l'instant présent et du sensible, à croire qu'une nouvelle fois Eric Reinhardt se cache derrière tous les personnages de sa pièce.
Stock, 2013. - 188 p.
"Equité n'est pas justice, c'est l'appréciation de ce qui est dû à chacun. L'équité c'est la vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l'injuste."
Lors de la rencontre littéraire de Tête de lecture dont je vous parlais hier, Eric Reinhardt nous a confié qu'il était en train d'écrire une pièce de théâtre, un genre qu'il affectionne particulièrement et auquel il entend se consacrer davantage à l'avenir. Ce qui m'a instantanément donné envie de lire sa première pièce qui s'est jouée au théâtre du Rond-Point en 2013.
Elisabeth Basilico est DRH d'un grand groupe industriel qui appartient à un fonds de pension américain. La direction a décidé de fermer un atelier de fabrication dans l'un des sites français, ce qui va entraîner la suppression de 192 emplois sur le site en question. Elizabeth est donc chargée d'entamer une négociation avec les syndicats pour aboutir à un accord qui doit préserver les intérêts de l'actionnaire tout en accordant aux salariés des conditions acceptables de licenciement.
C'est une partie de poker à quatre qui va s'engager : l'actionnaire, le patron de la boite, la DRH et les syndicats. Deux contre deux, en théorie, sauf que Elizabeth n'est pas un médiateur neutre puisque qu'elle se place plutôt du côté de la direction que de celui des salariés, "malgré le vague vernis social qu' [elle a] parfois la coquetterie d'arborer, quand [elle a] en face d' [elle] de vrais cyniques", et que son objectif est d'aboutir à l'accord le moins coûteux possible pour la boite. Dès le départ, la négociation s'annonce délicate parce que l'actionnaire américain veut négocier au plus bas, sans vraiment laisser à Elisabeth de marge de manœuvre.
Cette pièce est en quelque sorte un spin off du Système Victoria, puisque qu'Eric Reinhardt y développe un épisode de ce roman. On y retrouve d'ailleurs Peter Dollan, qui dirige justement le fonds de pension Victoria Capital. Ce texte, qui évoque la liquidation du site industriel de Florange, et où résonnent plusieurs des romans de l'auteur, est bien sûr une critique de l'ultralibéralisme et de son oubli total de l'intérêt général au profit de l'enrichissement de quelques-uns : quand la logique financière prend le pas sur la logique humaine.
"Le système auquel tu t'es dévouée avec zèle pendant toutes ces années est hideux, tu l'as toujours nié, tu viens d'en recueillir la preuve : je ne pouvais pas rêver plus belle démonstration pour te convaincre. La machine que tu fais fonctionner, dont tu es payée pour aiguiser les pales, s'est retournée contre toi, elle est en train de te hacher."
Car le conflit n'épargnera personne, ni la DRH, ni le directeur, ni les salariés, car personne n'est totalement innocent dans cette histoire et c'est un élément qui m'a beaucoup plu : l'absence de manichéisme et la mise en évidence de la complexité de chacun, ses contradictions, ses renoncements. La pièce, riche en retournements de situations, contient une réelle tension dramatique. Et le final, malgré les dégâts collatéraux, n'est pas complètement dénué d'espoir sur l'avenir du système.
"Si on le voulait, on pourrait être nombreux, dedans, à l'adoucir, le système libéral : à y faire œuvre clandestinement la notion d'équité."
Et, à part ça, c'est du Reinhardt pur jus, qui mélange l'intime et le social, qui met en scène l'oppression de l'individu par l'entreprise, et où c'est (étrangement ?) l'Américain qui exalte la lumière de l'automne et la vertu de l'instant présent et du sensible.
Stock, 2013. - 188 p.