Roméo et Juliette - William Shakespeare
Peu d'auteurs ont eu le génie d'élever leurs personnages au rang de mythes, comme Shakespeare y est parvenu avec Roméo et Juliette, raison pour laquelle tout le monde connait l'histoire des amants tragiques sans avoir jamis vu la pièce sur scène. C'était aussi mon cas jusqu'à hier soir. Mais Olivier Py, pour sa dernière année à la direction du Théâtre de l'Odéon, a décidé de s'attaquer au chef d'oeuvre du maître. Et il a fait les choses en grand puisque, non content d'assurer la mise en scène, il a aussi écrit une nouvelle traduction. Et quelle traduction ! Ce texte nous rend toutes les facettes de la langue shakespearienne : sublime, certes, mais aussi triviale et salace. Même parti pris de respect de l'esprit du théâtre élizabéthain dans le choix de la distribution puisque la plupart des rôles féminins (à l'exception de Juliette et de sa nourrice) sont tenus par des hommes, et dans le choix minimaliste des décors, composés de blocs de bois qui se déplacent au gré de l'action pour figurer une salle de bal ou une chambre à coucher, un balcon ou un tombeau.
Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler l'histoire. Sachez seulement que la pièce s'ouvre sur une scène de bagarre qui illustre ce que nous appellerions aujourd'hui une guerre de gangs, avec des jeunes gens en vêtements modernes (blousons de cuir, pantalons de treillis, costume noir) qui s'affrontent violemment parce que les uns sont des Capulet et les autres des Montaigu... Et la dernière scène nous présente les survivants du drame, réunis comme un choeur de tragédie antique, se couvrant le tête de cendres pour déplorer cette querelle absurde et meurtrière et y mettre un terme. Entre ces deux scènes : trois heures et demie de plaisir absolu, qui nous font passer de la comédie romantique à la tragédie la plus noire, trois heures et demie pendant lesquelles on ne s'ennuie pas une minute, en compagnie d'un Roméo mélancolique et d'une Juliette effrontée qui s'aiment comme s'aiment les adolescents, avec d'autant plus d'ardeur que leurs parents s'y opposent.
J'étais si totalement prise par l'action que j'ai probablement dû bien agacer mes voisins avec mes soupirs et couinements divers, voire cris d'indignation (quand le père Capulet empoigne sa fille par les cheveux pour lui flanquer une correction parce qu'elle a le toupet de refuser le riche mari qu'il lui a choisi). Roméo est joué par un jeune acteur qui sort du conservatoire (Matthieu Dessertine) et qui est à la fois beau, sexy, enthousiaste, plein d'énergie, aussi juste dans le registre mélancolique, que passionné ou désespéré. J'ai eu un peu plus de mal à adhérer au personnage de Juliette (Camille Cobbi), beaucoup moins pure et virginale qu'on ne s'y attend d'une jeune fille de quatorze ans, mais que j'ai trouvée sublime dans le mode tragique. D'ailleurs tous les acteurs de ce spectacle sont magnifiques, même quand la mise en scène frôle le scabreux.
Mais, pour moi, le vrai héros d'une pièce de Shakespeare, reste l'auteur, que j'aime d'amour, now and forever.
Traduction, adaptation et mise en scène d'Olivier Py,
avec Matthieu Dessertine, Camille Cobbi, Olivier Balazuc, Quentin Faure, Philippe Girard, Frédéric Giroutru, Mireille Herbstmeyer, Benjamin Lavernhe.
Théatre de l'Odéon (Paris 6e) jusqu'au 29 octobre 2011, puis en tournée dans toute la France.