Les neiges du Kilimandjaro - Robert Guédiguian
Alors que tout le monde se précipitait pour aller voir Intouchables, une fable moderne improbable mais très politiquement correcte, je suis allée voir le dernier film de Guédiguian, un cinéaste social qui a le mérite de parler de la vraie vie.
La vraie vie, ici, c'est Marseille et son vieux port, au soleil certes, mais les deux pieds dans la crise. Et le film s'ouvre sur un scène particulièrement emblématique puisqu'on y voit Michel, délégué syndical, procéder au tirage au sort qui va désigner les vingt personnes qui doivent être licenciées pour permettre la survie de l'entreprise. Pour Michel, ce plan social est un compromis acceptable, et le tirage aléatoire la solution la moins injuste. Et son nom sort de la boite.
Voilà Michel réduit à l'inactivité après une vie de labeur, occupant son temps à cuisiner pour ses petits-enfants et à bricoler pour son fils. Pour Michel, le chômage n'est pas une situation dramatique : sa maison est payée, ses enfants installés, et la prime de licenciement doit lui permettre d'attendre la retraite.
Et surtout Michel est amoureux de Marie-Claire, sa femme depuis trente ans, qui le considère comme un héros et le surnomme gentiment "Jaurès" à cause de ses convictions politiques. Pour leur anniversaire de mariage, Michel et Marie-Claire organisent une grande fête avec leurs amis et reçoivent en cadeau une cagnote qui doit leur permettre de réaliser leur rêve : un voyage en Tanzanie, au pied du Kilimandjaro.
Mais quelques jours plus tard, alors qu'ils sont tranquillement en train de jouer aux cartes, Michel et Marie-Claire sont cambriolés, violentés et on leur dérobe toutes leurs économies. On découvre assez vite que le coupable est un jeune gars qui vit dans une cité délabrée et élève quasiment seul ses deux petits frères. Mais surtout c'est un ancien collègue de Michel, un de ses co-licenciés. Cette découverte va être un choc pour Michel qui réalise que lui, le prolo qui émarge aux Assedic, est considéré comme un riche par plus pauvre que lui. Il va essayer de comprendre comment son agresseur en est arrivé là.
Robert Guédiguian dissèque avec réalisme cette société impitoyable dans laquelle nous vivons et où l'on a monté les travailleurs les uns contre les autres pour les détourner de leurs vrais ennemis. A travers Michel, Guédiguian montre le naufrage des illusions de toute une génération (la mienne) qui a cru à la lutte et s'est battue pour plus de justice sociale. Au contraire, Christophe, le jeune cambrioleur, ne croit en rien, ni en la justice, ni en l'égalité, et encore moins à la lutte syndicale.
« Ils croient, ces jeunes, que ça a toujours existé, tout ça : les congés, la retraite et la sécu. On ne leur a sans doute pas assez dit qu’il a fallu se battre pour ça. »
Guédiguian donne l'impression que le temps des solidarités est fini et que dorénavant c'est chacun pour soi, à n'importe quel prix. Et pourtant il y a beaucoup d'humanité dans ce film, qui parle de la vie comme elle va : l'amour, l'amitié, la famille, les rêves ou les angoisses, et qui se termine sur une vraie note d'optimisme sur la bonté de l'humanité. Une fin qui m'a fait pleurer comme une madeleine...
Film français (2011) de Robert Guédiguian,
avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan et Marilyne Canto.
Genre : drame social ; durée : 1h47.