Je te retrouverai - John Irving
Mon histoire d’amour avec John Irving a commencé il y a une vingtaine d’années, avec le choc que fut la lecture du Monde selon Garp. Par la suite, j’ai lu tous ses livres. Je les attendais avec fébrilité et les dévorais avec avidité et gourmandise. Et puis,j’ai fait une sorte d’indigestion… La veuve de papier m’a prodigieusement ennuyée et j’ai fait l’impasse sur La quatrième main. Alors, me direz-vous, pourquoi me suis-je jetée sur son dernier opus, dont le titre évoque pourtant davantage Mary Higgins Clark et Marc Lévy que le père de La part de Dieu, l’œuvre du diable ? Parce que ce titre banal m’a laissée espérer justement que je pourrais retrouver toutes les belles émotions littéraires que je dois à John Irving. Et ce fut très exactement le cas. Ce roman, irvingnien au possible, m’a tenue en haleine pendant huit jours…
Jack Burns est encore en tout petit garçon quand sa mère l’entraîne dans un périple autour de la mer Baltique à la poursuite de son père. Alice et William se sont rencontrés à Edimbourg. Il est organiste, elle chante dans la chorale. Elle est fille de tatoueur, il veut un tatouage. Elle l’aime, il lui fait un enfant et prend la fuite. Elle le poursuit, jusqu’au Canada, d’abord, en Europe du Nord, ensuite. Et ce n’est pas bien difficile de trouver William Burns : cherchez une église avec un orgue, et une boutique de tatouage. Car William Burns, organiste talentueux, est aussi un “accro de l’encre”, qui accumule les tatouages. De Copenhague à Oslo et d’Helsinki à Stockholm, Jack et sa mère font donc le tour des tatoueurs et des orgues, à la recherche du père, et ne trouvent qu’une collection de pauvres filles séduites et abandonnées par ce Don Juan. Alice finit par renoncer et retourne au Canada. A Toronto, elle ouvre une boutique de tatouage et se met en ménage avec une autre femme. Jack va grandir entouré de femmes, dans la peur de devenir comme son père : un bourreau des cœurs. Plus tard, il va devenir comédien et réussir dans des rôles de travestis. Il lui faudra bien des années pour découvrir qui il est, et surtout qu’on ne lui a pas dit toute la vérité sur son père…
On retrouve, dans ce roman très autobiographique, tous les thèmes chers à John Irving : l’absence du père, les blessures de l’enfance, le mystère de la sexualité, la quête d’une identité. On y rencontre aussi une collection de personnages hauts en couleur, complètement extravagants : tatoueurs exotiques, prostituées au grand coeur, camarades de classe névrosés, professeurs allumés, acteurs de cinéma porno, cinéastes déjantés. C’est tout l’univers baroque de John Irving, son imaginaire débridé, ses situations improbables et son humour caustique, qui se déroule sous nos yeux. C’est un pur régal ! Et la fin est merveilleuse : ce vieux renard a réussi à me faire pleurer !
Seuil, 2006. – 851 p.
Une interview de John Irving pour le magazine Lire.