Mon nom est Rouge - Ohran Pamuk
Ce roman est à le peinture ce que Le temps où nous chantions est à la musique : un grand cri d’amour passionné, quoique dans un genre et un style complètement différents.
Nous sommes à Istanbul en 1591. Alors que la neige recouvre lentement la ville, un cri s’élève : « Et maintenant, je suis mon cadavre ». Du fond du puits où son assassin l’a jeté, la victime s’adresse à nous, lecteur, pour témoigner de cette ignominie. Monsieur Délicat, enlumineur à l’atelier de peinture du Sultan, connaît parfaitement son assassin et les raisons de sa mort. Depuis quelques semaines, Délicat travaillait en effet, avec ses collègues Olive, Papillon et Cigogne, sous les ordres de Monsieur l’Oncle à une commande spéciale du Sultan : un livre mystérieux, que d’aucuns qualifient d’impie…
Au XVIème siècle, en Orient, le principal objet de la peinture est d’illustrer des livres qui, eux, racontent des histoires. Sujets et styles sont très codifiés pour respecter une tradition qui vient de la Perse et de la Chine. La peinture doit représenter non pas ce que l’homme voit, mais ce que Dieu voit. C’est pour cette raison que le point de vue adopté par l’artiste est toujours en hauteur. Or, à cette même époque, en Italie, une révolution picturale a eu lieu, avec la découverte de la perspective. Révolution picturale et révolution philosophique, puisque désormais le spectateur du tableau a l’impression d’entrer dans le tableau : ce n’est plus Dieu qui occupe le centre du monde mais l’Homme. Dans le roman de Pamuk, deux conceptions de la peinture (et donc, du monde) vont s’affronter : celle de Maître Osman, qui ne croit qu’en la tradition et ne suit que ses talentueux prédécesseurs, et celle de Monsieur l’Oncle qui veut adopter la nouvelle manière de peindre occidentale. Ce livre est à la fois roman policier, roman historique, roman d’amour, roman philosophique, roman satyrique et pamphlet politique contre l’intégrisme religieux. L’histoire est racontée par tous les personnages, y compris des objets inanimés. Cette narration polyphonique permet justement au lecteur d’entrer au plus profond de l’histoire, et au romancier de multiplier les histoires parallèles, à la manière d’un Paul Auster. Mon seul regret : que cette histoire passionnante manque un tout petit peu d‘émotion…
Traduit du turc par Gilles Authier.
Gallimard, 2001. – 736 p.
La critique de Monsieur KA, très joliment illustrée.
Une exposition sur les rapports artistiques Orient Occident.