La petite fille qui aimait trop les allumettes - Gaétan Soucy
Dans un grand domaine laissé à l’abandon, deux enfants vivent avec leur père une vie à l’écart du monde. Le père est à la fois Dieu et maître, détenant le pouvoir et la connaissance, édictant des règles strictes que tout le monde doit suivre. Les enfants ne connaissent rien d’autre du monde que ce qu’ils découvrent dans les livres de la bibliothèque, apprenant à lire dans les mémoires de Saint-Simon et l’Ethique de Spinoza. Un matin, les deux enfants découvrent leur père pendu dans sa chambre. Ce décès bouleverse leur monde, le monde. Comment vont-ils y faire face ?
« C’est horrible comme c’est beau » : cette phrase résume parfaitement ce roman qui ne ressemble à aucun autre. Le style de l’auteur est une merveille parce qu’il réinvente complètement la langue : « Ce n’est pas rendre service à la parole que de frayer avec des mots qui branlent du manche après la cognée. » Il crée ainsi une atmosphère qui, sans être franchement fantastique, donne au lecteur un sentiment d’irréalité et d’atemporalité. Nous ne sommes plus dans un roman mais dans un conte, qui peut se lire à plusieurs niveaux, et n’est pas dénué d’un humour sombre.
C’est d’abord une histoire universelle : à la mort du père, la famille éclate, chacun doit réinvestir le monde, trouver sa propre identité et un nouveau sens à sa vie. Et c’est aussi une histoire de famille : pourquoi ces gens vivent-ils dans un tel isolement ? Les secrets de famille nous sont dévoilés pas à pas, au fur à mesure justement que le jeune narrateur se réapproprie son passé et ses souvenirs. Nous découvrons ainsi (avec horreur, en ce qui me concerne) à quel point ces enfants ont grandi dans l’ignorance. C’est alors que le conte philosophique se profile à l’horizon…Dieu est mort, léguant aux humains un poignant sentiment de culpabilité. Privés de la religion, les hommes découvrent l’angoisse d’être mortel, mais aussi la liberté, le désir, la connaissance…
C’est un livre étrange, déroutant, dérangeant, mais que l’on a envie de relire aussitôt terminé parce qu’une seule lecture ne suffit pas pour en découvrir tous les mystères, tous les méandres, toutes les implications…
Boréal, 1998. – 180 p.