Yanvalou pour Charlie - Lyonel Trouillot
Rentrée littéraire 2009
Le jour où il a quitté son village natal pour fuir la pauvreté, Dieutor a tiré un trait sur son passé : oubliés famille, maison, amis, amoureuse.
« Je viens d’un tout petit village. Cela fait partie des choses que j’avais oubliées. Pour un homme qui a gagné longtemps sa vie au jour le jour et qui grimpe tranquillement les barreaux de l'échelle sociale, le souvenir est un luxe, pas une nécessité. »
Et jusqu’à son prénom. Adieu Dieutor, bonjour Mathurin. Grâce à une bourse, Mathurin D. Saint-Fort a étudié et est devenu cet avocat arriviste et brillant, réputé pour ne perdre aucun procès. Dans une société haïtienne où règne la misère et où le fossé entre riches et pauvres est quasiment infranchissable, il a choisi son camp. Pour y parvenir il s’est forgé une carapace de cynisme et d’indifférence. Cette belle armure va se fendiller le jour où Charlie débarque dans sa vie.
« Ce crétin de Charlie, avec sa vie de chien et son histoire de fou, était venu ouvrir la porte du retour.»
Charlie est un gosse des rues, originaire du même village que lui, que l’abandon de sa famille a conduit dans un orphelinat de Port-au-Prince. Mi-voyou, mi-idéaliste, il a de gros ennuis et compte sur l’aide de Dieutor. Avec Charlie, c’est le passé qui saute à la gorge de Dieutor. En Charlie, il voit celui qu’il fut : un môme en quête de son étoile. Car tout le monde devrait avoir droit à son étoile. Mais elle est où, leur chance, à ces gamins des rues, abandonnés de tous ?
« C’est tout simple. Qu’est-ce qui fait la différence entre les gens ? L’argent. Avec l’argent tu t’achètes ce que tu veux. Même si t’es un enfant, avec l’argent tu as plus de pouvoir qu’un adulte. La marmaille qui fréquente les écoles étrangères, elle a plus de pouvoir que les chauffeurs et les agents de sécurité qui sont là pour la protéger. »
Autant j’avais eu du mal avec le précédent roman de Lyonel Trouillot, autant je suis entrée très vite dans celui-ci dont j’ai beaucoup aimé le style, tour à tour précis, tendre ou poétique, et non dénué d’humour. C’est un roman à quatre voix qui dresse un tableau très noir de l’île d’Haïti. Personne n’est épargné, ni la religion qui n’a pas plus d’utilité qu’un pansement sur une jambe de bois, ni les ONG qui achètent et vendent de la bonne conscience à vil prix, ni les politiques forcément menteurs et corrompus, encore moins les idéologies qui résistent mal au principe de réalité. On pourrait penser que c’est un livre pessimiste et pourtant il se termine sur une très belle page d’espoir. Grâce à sa rencontre avec Charlie, Dieutor va prendre conscience que l’on ne peut rien construire en niant le passé, quel qu’il soit. Il convient au contraire de l’apprivoiser. Dieutor ne renoncera pas à son cynisme mais le réservera désormais au monde des affaires, réconciliant Dieutor avec Mathurin.
Et le yanvalou ? Le yanvalou est un chant traditionnel d’Haïti qui se chante lors des fêtes de villages, ciment du lien social. Comme ce chant, le roman de Lyonel Trouillot nous dit qu’ensemble on est plus forts.
Actes Sud, 2009. – 175 p.