Le fils – Philipp Meyer
Rentrée littéraire 2014
« Nous étions éternels, nous étions le Peuple Elu, l’écho de nos noms retentirait sous les étoiles bien après notre disparition de cette terre. »
Premier roman de cette rentrée littéraire et premier coup de cœur, avec ce roman-fleuve qui retrace presque deux siècles d’histoire du Texas, à travers l’histoire des Mc Cullough, riche famille de ranchers. Trois voix tissent tour à tour le récit de la saga familiale, trois générations de Mc Cullough, trois temps narratifs qui alternent pour bâtir une chronique à plusieurs facettes.
Celui que tout le monde appelle le Colonel, depuis qu’il a combattu avec les Confédérés, est à la fois le patriarche de la famille, un héros local, et l’homme le plus puissant du comté. Né en 1836, l’année même où le Texas rejoint l’Union, il avait à peine treize ans quand il fut capturé par les Indiens. Les trois années passées dans une tribu comanche marqueront son destin à jamais. Quand il retourne chez les Blancs, il ne tarde pas à comprendre que seuls richesse et pouvoir lui apporteront cette liberté dont il a fait l’expérience et dont il ne peut plus se passer, et il va tout faire pour les conquérir.
Le Texas est alors un territoire riche mais vide que se disputent Américains, Indiens et Mexicains. La vie d’Eli Mc Cullough est marquée par la violence, les morts prématurées, la lutte pour la survie. Au fil des ans et des épreuves, l’adolescent courageux et généreux se transforme en un vieil homme impitoyable, à l’image de ce pays de violence qu’est le Texas, où seule règne la loi du plus fort. A part sa fidélité à sa famille comanche, sa seule loi est la sienne. Cette conscience qu’il a perdue sur le chemin de la richesse, c’est son fils qui va l’incarner.
Peter est l’opposé de son père : sensible et cultivé, mais complètement écrasé par cet homme tout puissant. Bien que conscient de sa lâcheté, il est incapable de s’opposer à l’ambition dévorante du Colonel. Il va laisser son père commettre ce qui apparaît comme un épouvantable crime, qu’il ne lui pardonnera jamais, tout en en portant toute sa vie la culpabilité. Son opposition tacite à son père va faire de lui le paria de la famille.
Mais rien n’est jamais blanc ou noir sous la plume de Philipp Meyer, qui balaye sans complaisance tout ce que l’on croyait savoir sur la conquête de l’Ouest. Tout comme les Indiens n’étaient pas les barbares que l’on a longtemps voulu voir, Eli Mc Cullough se révèle un homme bien plus attachant qu’il n’y paraît de prime abord, un homme qui assiste, impuissant mais sans larmes, à la fin de la nation indienne. Avec ce western épique et familial, l’auteur nous offre un très grand roman, magnifique et rude, qui ne nous cache rien de la construction de ce Texas qui, plus qu’un état du Sud, se vit comme une véritable nation, renvoyant dos à dos le « Vieux Sud » et les yankees, méprisant tour à tour Mexicains et Afro-américains.
Un roman à la fois dostoïevskien où le fils subit le châtiment (et la rédemption) du crime commis par le père, et philosophique qui s’interroge à l’infini sur le sens de la vie et questionne la place de l’homme dans l’Histoire, cet éternel recommencement.
« Tous [ces indiens] furent éliminés par les Apaches, éliminés à leur tour – au Texas du moins – par les Comanches. Eux-mêmes éliminés par les Américains. Un être humain, une vie – ça méritait à peine qu’on s’y arrête. […] Et pourtant, elle était là. A respirer, à penser tout cela. Le sang qui coulait à travers les siècles pouvait bien remplir toutes les rivières et tous les océans, en dépit de l’immense boucherie, la vie demeurait. »
Traduit de l’américain par Sarah Gurcel.
Albin Michel, coll. Terres indiennes, 2014. 688 p.
Ce roman est mon pavé de l'été