Karen Blixen : une odyssée africaine - Jean-Noël Liaut

Publié le par Papillon

Karen Blixen quitte le Danemark pour l’Afrique en 1914 pour se marier avec un vague cousin. Il lui offre un titre de baronne et elle lui apporte une grosse dot avec laquelle ils vont acquérir une plantation au Kenya. Pour elle, qui a vingt-huit ans et est issue d’une famille bourgeoise dans laquelle elle étouffe, c’est le début de la liberté. Elle rêve d’un grand destin et elle est sûre que l’Afrique le lui apportera. La réalité sera, hélas, bien différente. Son mariage tourne très vite au désastre : son mari est infidèle et dépensier. Il lui transmet la syphilis qui la fera cruellement souffrir toute sa vie et prend des décisions désastreuses quant à la gestion de la plantation. Pendant dix-sept ans, Karen Blixen va porter à bout de bras sa ferme, affrontant la maladie, la solitude, la colère de ses actionnaires danois, sans parler de tous les ennuis et accidents liés à la gestion d’un tel domaine. En 1931, elle rentre au Danemark, seule, ruinée, malade, au bord de suicide. Mais de son expérience africaine, elle va créer une œuvre littéraire et finalement la littérature lui apportera la réussite que l’Afrique n’a su lui donner.

Quelle femme étonnante et contradictoire ! Une femme selon mon cœur : moderne, courageuse, cultivée, éclectique, d’une curiosité insatiable, menant une vie d’un raffinement extrême, ayant élevé la pratique de la conversation au rang d’art, faisant de chacune de ses soirées une sorte de spectacle unique avec vins fins, cuisine raffinée, ambiance exotique et intellectuelle. Et pourtant, elle est snob, élitiste, adorant le luxe et méprisant tout ce qui est petit-bourgeois. On la déteste. Elle s’en moque car elle se moque du qu’en dira-t-on et adore provoquer. Elle choque les membres de la colonie blanche par son amour inconditionnel des Noirs. Elle fera de sa maison une vraie cour des miracles accueillant animaux blessés et enfants orphelins. Et quel triste destin ! On aurait vraiment voulu que cette femme ait un peu plus de chance dans ses entreprises, elle le méritait bien.

Mon grand regret avec cette biographie est que l’auteur ait voulu faire une calque de La ferme africaine, dans laquelle Karen Blixen a raconté sa vie en Afrique. Jean-Noël Liaut se propose en effet de fournir une version « historique » de la vie de l’auteur, puisqu’il semble que celle-ci ait beaucoup enjolivé ses souvenirs. Il fait donc commencer l’histoire au moment où Karen Blixen embarque pour l’Afrique. Son enfance est à peine suggérée. Seule est détaillée sa relation intense avec son père qui a joué un rôle essentiel dans la formation de sa personnalité avant de se suicider quand elle avait dix ans, créant chez elle une peur de l’abandon qui ne la quittera jamais vraiment. A travers tous les hommes de sa vie c’est l’image de son père qu’elle recherchera. Et le biographe termine son récit avec le retour de Karen Blixen au Danemark. Sa carrière d’écrivain est à peine esquissée et j’ai fermé ce livre avec un intense sentiment de frustration. C’est vraiment triste de quitter une telle femme et après l’avoir vue souffrir et se battre pendant deux cents pages, j’aurais aimé assister à son triomphe d’écrivain.


Petite Bibliothèque Payot - 2005 - 228 p.
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P
Bonsoir,"Pour vivre, il faut avoir beaucoup de courage" disait Karen Blixen à Daniel Gilès, lors de sa dernière interview. Bel exemple et formidable parcours, Karen Blixen m'a donné envie de lire encore et toujours plus. Pascal Djemaa.
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M
Il existe une biographie plus complète de cet écrivain aussi passionnant que ses livres : Karen Blixen, de Judith Thurman.
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P
Merci beaucoup Mélanie : je note !
A
Je n'ai encore jamais lu les livres de Karen Blixen (elle est sur ma liste à lire cependant, plusieurs de ses romans). Cependant, cette biographie et surtout, la façon dont tu en parles, m'attirerait beaucoup! Dommage qu'elle soit "incomplète"! Je la garde toutefois dans un petit coin de ma tête, et quand j'aurai lu ses romans, je m'attaquerai peut-être à sa vie, qui semble à la grandeur du personnage, même si elle n'est pas toujours positive...<br /> Merci d'avoir partagé cette belle critique! C'est avec plaisir que je t'ai lu ce matin :)
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P
Merci Allie. Je te conseille vivement de lire La ferme africaine de Karen Blixen en premier : elle y livre ses sentiments sur sa vie en Afrique, et c'est passionant !