Ayako - Osamu Tezuka
Avec cette série en 3 volumes j'ai découvert mon premier manga, conseillé par une amie. Première surprise : c'est en noir et blanc. Deuxième surprise : ça se lit de droite à gauche, en commençant par la fin, ce qui demande une petite période d'adaptation ; je me suis surprise à plusieurs reprises à revenir sur mes pas…
Ce manga a ceci d'intéressant qu'il se déroule dans une période de l'histoire japonaise assez mal connue : l'immédiate après guerre, lors de l'occupation américaine. Sous la férule du Général MacArthur, les américains ont entrepris d'imposer la démocratie (un de leurs sports favoris…) dans un Japon de tradition féodale : instauration d'une vaste réforme agraire ruinant les gros propriétaires terriens, privatisation des chemins de fer entraînant le licenciement de plusieurs milliers d'employés, et attaques systématiques contre les partis de gauche…
Volume 1
1949. Après plusieurs années de captivité, Jiro Tengé rentre à la maison. Son père, patriarche autoritaire, maître d'un vaste domaine, en partie démantelé par la réforme agraire, l'accueille froidement. Sa captivité a entraîné le déshonneur sur la famille, autrefois respectée. Une étrange tension semble régner sur la famille et Jiro ne tarde pas à découvrir que son père entretient une liaison incestueuse avec sa belle-fille Sué, au vu et au su de toute la famille. De cette liaison est née une petite fille, Ayako, qui ignore qui est sa vraie mère. De son côté; la famille ignore que Jiro est devenu un espion des américains. Il est bientôt chargé d'une mission : participer au meurtre du syndicaliste Tadeshi, qui n'est autre que le petit ami de sa soeur. Mais les choses tournent mal : Jiro est surpris par Ayako alors qu'il lave sa chemise tâchée de sang. La fillette est trop jeune pour bien comprendre ce qu'elle a vu, mais lorsque la police commence à poser des questions, Jiro s'inquiète…
Dès les premières pages, j'ai beaucoup aimé la finesse et la simplicité du trait de Tezuka. Incroyable tout ce que peuvent raconter ces petites images qui s'enchaînent à un rythme rapide, même sans une ligne de texte. L'histoire est complexe et pleine de rebondissements : tragédie familiale, espionnage, politique, énigme policière… Et les nombreux personnages sont particulièrement bien caractérisés : la soeur rebelle, la belle-soeur soumise, la mère effacée, le père lubrique, le frère aîné lâche et cupide, le frère cadet courageux et intègre, les policiers tenaces…
Volume 2
Dans ce second volet, l'Histoire passe au second plan, au profit du drame familial. La famille a compris que Jiro est impliqué dans le meurtre de Tadeshi mais décide de le couvrir pour sauver sa réputation. Pendant que Jiro s'enfuit, le conseil de famille condamne la petite Ayako, âgée de quatre ans, à rester enfermée jusqu'à ce que l'affaire soit enterrée. Ayako est donc cloîtrée dans le sous-sol d'une grange, où les visites quotidiennes de Sué constituent son seul lien avec le monde extérieur. Au début, elle se rebelle puis finit par accepter sa réclusion. Pendant que la petite fille devient lentement une jeune fille, la famille Tengé se déchire autour de l'héritage.
Ce tome est très noir, accumulant les turpitudes sur la famille Tengé (inceste, meurtre, mensonges…) pendant que la pure Ayako est condamné au silence, symbole d'un Japon bâillonné par l'occupant américain.
Volume 3
1972. Après vingt-trois ans de captivité, Ayako réussit à s'enfuir par hasard et retrouve son oncle Jiro à Tokyo. La jeune femme est complètement déséquilibrée, ne supportant pas de vivre ailleurs que dans une caisse, se comportant tantôt comme une jeune femme lubrique et tantôt comme une enfant attardée. Jiro, qui s'est enrichi pendant la guerre de Corée, est devenu un patron de la mafia japonaise. A l'occasion d'une guerre des gangs, son passé le rattrape et le commissaire Géta retrouve sa trace…
Ce dernier volume m'a franchement déçue, même si tous les mystères du premier tome s'y trouvent révélés. Le personnage d'Ayako adulte est très dérangeant et le scénario comporte de nombreuses faiblesses… Les personnages tournent à la caricature : très noirs du côté de la famille Tengé et très blancs du côté des policiers. Quant à la fin tragique, elle m'a donné l'impression que Tezuka ne savait pas comment terminer son histoire…
Malgré la déception du dernier volume, ce fut une découverte intéressante que cette série, très riche autant sur le plan narratif que graphique et qui m'a appris bien des choses sur l'histoire du Japon.
Traduit du japonais par Jacques Lalloz.
Editions Delcourt, 2003 et 2004. – 222, 237 et 247 p.