Une empreinte sur la terre - Pramoedya Ananta Toer
Buru Quartet III
"Toutes les entreprises significatives pour l'humanité non seulement tirent leur origine d'un rêve, mais sont guidées par lui, par l'imagination."
Voici le troisième tome de la saga indonésienne de Toer, un tome qui nous fait entrer dans le XXe siècle. 1901, Minke a réussi à quitter Surabaya pour commencer des études de médecine à Betawi (future Djarkarta, et capitale des Indes néerlandaises). Médecin est la position la plus enviable à laquelle puisse accéder un indigène instruit, mais qui fait de lui un serviteur de l'état (qui finance ses études). Dès son arrivée, Minke fait face au racisme auquel sont en butte les indigènes dans la capitale coloniale. Une invitation au palais du gouverneur lui permet pourtant d'entrer dans les coulisses du pouvoir, et de se confronter aux manigances politiques et guerrières de la puissance coloniale, qui veut conquérir d'autres îles de l'archipel : les Moluques, les Célèbes, et Bali. Sa rencontre avec une jeune chinoise va être déterminante : Mei, appartient à une société secrète qui se propose de renverser l'impératrice Tseu-Hi pour instaurer la république en Chine. Pour elle, il renoncera à sa carrière de médecin, pour redevenir journaliste. Mais cette fois, il crée son propre journal, à destination des indigènes, et écrit en malais. Minke ne va pas cesser de réfléchir au moyen de développer le nationalisme de ses concitoyens et d'unifier cette population multiethnique et multiculturelle où les différences de classes sont toujours très prégnantes : par la langue ? par la religion ? par la profession ? Il va faire plusieurs tentatives pour créer une association à but éducatif, avec plus ou moins de réussite.
"Dans la modernité, on voyait émerger l'individu responsable, doué de sa propre conscience et non inféodé aux décisions de ses supérieurs. Un individu autonome au sein de la société. Pas seulement un élément passif, mais un membre à part entière, participant activement à son évolution."
Ce troisième épisode du Buru Quartet est particulièrement dense, et on y assiste à de multiples rebondissements, tant sur le plan de la vie intime de Minke, que de sa vie publique, professionnelle ou spirituelle. C'est toujours très romanesque, et encore très politique. On y trouve la même critique du colonialisme que dans les épisodes précédents, notamment via les agissements du puissant Syndicat du sucre qui exploite les paysans en les obligeant à louer leurs terres pour des sommes misérables : le sucre remplace le riz, et les paysans peinent à se nourrir alors que le Syndicat s'enrichit. On devine ce que va devenir ce qui n'est pas encore l'Indonésie. Mais ce que j'ai trouvé particulièrement passionnant c'est de suivre sur plusieurs années le cheminement intellectuel de Minke qui entre dans l'age mûr avec ses rêves, avec ses doutes et avec son ambition pour son pays. "J'étais un colporteur de rêves d'un avenir meilleur." Il rêve pour son pays d’éducation et d'émancipation, mais le chemin est long, et les échecs nombreux. Minke est un personnage qui se remet sans cesse en question, au fur et à mesure qu'il apprend et que le monde bouge autour de lui. Ses positions politiques vont finir par lui causer des ennuis avec le gouvernement. Et ce volume s'achève sur un évènement dramatique, qui fait que le lecteur n'a qu'une envie : retrouver très vite ce héros magnifique.
Traduit de l'indonésien par Dominique Vitalyos.
Zulma, 2018 (1e éd. 1985). - 668 p.